Le 17 novembre prochain, la Chambre administrative de la Cour suprême se penchera sur le pourvoi en cassation formé par l’Agent judiciaire de l’État après l’Ordonnance du juge du Tribunal d’Instance de Ziguinchor réintégrant le candidat à la candidature à l’élection présidentielle, Ousmane Sonko. Mais, au vu de la composition de la Cour, de sérieux doutes d’impartialité pèsent sur ce procès important pour l’avenir politique du leader du Pastef. En effet, le président de la première Chambre administrative de la Cour suprême, Abdoulaye Ndiaye, qui avait connu de l’affaire du 06 octobre 2023, est désigné comme juge-rapporteur dans l’affaire du 17 novembre prochain. Les deux affaires portent sur le même objet : la remise de fiches de parrainage à Ousmane Sonko. L’Agent judiciaire de l’État s’est pourvu en cassation après que le juge de Ziguinchor a clairement notifié aux services centraux du ministère de l’Intérieur, dans son ordonnance du 12 octobre 2023, de réintégrer le leader des Patriotes sur les listes électorales.
Par MOUSSA FALL
Les avocats de Ousmane Sonko ont saisi le premier président de la Cour suprême, Ciré Aly Ba, par requête,aux fins de récusation du magistrat Abdoulaye Ndiaye, désigné rapporteur à l’audience publique spéciale du vendredi 17 novembre 2023. Cette audience sera dirigée par Ciré Ali Ba avec le juge Abdoulaye Ndiayecomme rapporteur, et Aïssatou Diallo Ba, Fatou Faye et Lecor Diop comme conseillers. Le rapporteur, c’est celui à qui le président Ciré Aly Ba confie le dossier pour qu’il fasse une proposition de décision d’où son rôle très déterminant. Après, il essaie de défendre son rapport éventuellement avant de passer au vote pour voir s’il y a une majorité. Le rapport est même obligatoire dans le cas du pourvoi en cassation.
À charge pour la composition de la Cour d’être d’accord ou non
Mais le rapporteur, c’est d’abord celui qui fait son rapport et qui propose à toute à la composition une décision. À charge maintenant pour la composition de la Cour d’être d’accord ou non, mais c’est le premier héritier du dossier. Il ne rend pas une décision mais il lapropose à la suite de sa saisine par le Président Ciré Aly Ba. C’est cela le rôle du rapporteur et c’est un élément fondamental de la procédure.
Le fait que ce soit inédit, c’est que c’est lui qui est l’auteur de cette décision-là (ordonnance du 06 octobre 2023) qui entre en contradiction avec la nouvelle affaire que va juger la Chambre administrative le 17 novembre prochain. C’est ce qui explique la récusation déposée contre le magistrat Abdoulaye Ndiaye. Juge des référés, il avait rejeté « la requête de Ousmane Sonko aux fins de dire que ce dernier n’établit pas que le fait pour la DGE de ne lui avoir pas délivré les fiches de collecte de parrainages dans les conditions déterminées par la loi porte une atteinte grave encore moins manifestement illégale à sa liberté de se porter candidat à la candidature en vue de l’élection présidentielle ». Une telle décision avait laissé toute l’assistance à l’audience stupéfaite surtout que l’avocate générale Marème Guèye Diop, après avoir indiqué, dans son réquisitoire, qu’« il y a violation fondamentale du droit de M. Ousmane Sonko parce la DGE ne peut s’arroger les prérogatives du Conseil constitutionnel », avait laissé croire que le président Abdoulaye Ndiaye allait rétablir Ousmane Sonko dans son droit fondamental d’électeur. Mais le Juge Sabassy Faye, quelques jours plus tard, allait rétablir le leader Sonko dans ses droits électoraux. Ce que l’Agent judiciaire de l’État ne pouvait accepter d’où sonrecours déposé devant de la Cour suprême le 23 octobre passé.
Au centre de deux affaires qui concernent la même chose
C’est dans le cadre du pourvoi formé par l’État du Sénégal contre l’ordonnance N°2023/01 en date du 12 octobre 2023 par le Président du Tribunal d’Instance de Ziguinchor que Ousmane Sonko récuse le juge Abdoulaye Ndiaye parce qu’étant au centre de deux affaires qui concernent la même chose : « la remise de fiches de parrainage à Ousmane Sonko ». Dès lors que le juge Abdoulaye Ndiaye a déjà avalisé le refus de délivrer des fiches de parrainages à Sonko lors de l’audience du 06 octobre passé, et que le juge de Ziguinchor a demandé la réintégration de ce dernier, six jours plus tard, sur les listes électorales avec comme conséquence la remise de fiches de parrainage, le président de la première Chambre administrative ne peut pas, en tant que juge rapporteur sur la même affaire, faire partie de la composition de la Cour. Ainsi partant du principe d’impartialité objective, Sonko, sur la base de textes juridiques, récuse le juge-rapporteurAbdoulaye Ndiaye.
Les deux affaires (le pourvoi de l’AJE du 23 octobre, et la requête des conseils de Sonko devant la Cour suprême du 02 octobre) portent sur les mêmes faits et ont tous trait à la candidature de Sonko à la prochaine élection présidentielle. Le président Abdoulaye Ndiaye se retrouve donc à devoir juger en cassation, une décision de justice qui, implicitement, a désapprouvé sa propre décision en qualité de juge des référés. Par conséquent, il se retrouve donc à juger une affaire dont il a déjà connu en tant que juge. Surtout que concernant cette affaire de remise de fiches de parrainage, rien n’a changé au niveau du ministère de l’Intérieur notamment à la Direction générale des élections (DGE), qui persiste à dire que Sonko n’est pas inscrit sur les listes électorales, et au niveau de la Direction de l’Automatisation des Fichiers (DAF).
Posture bifide et sujette à caution
Le pourvoi en cassation contre l’ordonnance du 12 octobre 2023 du président du Tribunal d’instance de Ziguinchor porte sur les mêmes faits et met en cause les mêmes parties que le référé qui avait été déjà jugé par le magistrat Abdoulaye Ndiaye. Ainsi le président de la Chambre administrative de la Cour suprême, sur la base de l’éthique juridique, ne peut avoir l’opportunité de connaitre, à nouveau, de cette même affaire dont il a connu en référé surtout que l’affaire en vue d’être jugée le 17 novembre prochain est contraire à sa décision dans l’ordonnance N°23 du 06 octobre 2023.
Cette posture bifide du juge Abdoulaye Ndiaye, qui peut être, remet sérieusement en cause le droit fondamental de Ousmane Sonko à être jugé par un tribunal impartial si l’on se fonde sur la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuplesnotamment en son article 7, alinéa 1(d), qui dispose que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue et que ce droit lui permet d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale », et sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en son article 14, alinéa 1 qui dispose que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial ».
Ainsi pour une bonne administration de la justice et pour la garantie d’un procès juste et équitable, le président Ousmane Sonko ne peut que récuserformellement le juge rapporteur Abdoulaye Ndiaye comme l’y autorisent nos textes juridiques et les instruments internationaux signés et ratifiés par le Sénégal.