Actualité

EXHUMATION ET INCINÉRATION D’UN PRÉSUMÉ HOMOSEXUEL À KAOLACK

Condamnation d’un acte «cruel et horrible»

 

Au lendemain du scandale de l’exhumation et de l’incinération d’un présumé homosexuel qui était enterré dans les cimetières de Léona Niassène à Kaolack, l’opinion reste divisée. Sur les réseaux sociaux, chaque personne défend sa position alors que les religieux et défenseurs des droits de l’hommes condamnent ces actes. Pape Serigne Sylla, un socio-anthropologue et spécialiste des questions religieuses, a aussi apporté des éclairages sur cette affaire barbare qui ne présage rien de bon pour le Sénégal.

Par HABIBATOU TRAORÉ

Un tas d’immondice noirâtre jonche la devanture du cimetière de Léona Niassène. Ce décor qui ressemble aux séquelles d’une manifestation serait plutôt le reste d’un être humain. Le corps d’une personne qui y a été brulé la veille. L’individu d’une trentaine d’année serait éconduit dans plusieurs cimetières à cause de sa supposée appartenance à la communauté des homosexuels. Ces proches qui pensaient qu’il pouvait enfin trouver le repos dans les cimetières de cette ville religieuse l’auraient enterré en catimini dans la nuit du samedi et en petite communauté. Et c’était sans compter avec la vigilance des jeunes de la localité qui ont déterré le défunt et l’ont trainé sur quelques mètres avant de bruler ses restes.

Dans un pays à 95% de musulmans, la pratique de l’homosexualité est certes très mal perçue au Sénégal. Mais cet acte posé par des populations de Léona Niassène (Kaolack) est-il cependant une recommandation religieuse ? Que nenni ! semble dire l’association des Imams et Oulémas du Sénégal. Son chargé de communication précise, à cet effet, qu’exhumer un corps et surtout encore de le brûler est un acte horrible qui viole la dignité humaine.  Et l’islam, rappelle Imam Moctar Ndiaye est une religion qui honore le fils d’Adam surtout à sa mort.

«L’exhumation d’un défunt seulement permise dans 4 circonstances»

D’après Imam Ndiaye, contacté par Yoor-Yoor Bi, « l’exhumation d’un défunt est seulement permise dans quatre circonstances ». « Si la toilette mortuaire n’a pas été accomplie, dans ce cas on peut l’exhumer pour lui accomplir la toilette mortuaire et l’enterrer de nouveau. Si le défunt n’a pas été bien ensevelie, dans ce cas on peut l’exhumer juste pour l’ensevelir et l’enterrer de nouveau.  Si le défunt a été inhumé avec un objet ou document de valeur ou même avec une importante somme d’argent dans ce cas également, on peut l’exhumer pour retirer ces documents ou cette somme d’argent et l’enterrer. Et en fin pour des besoins d’enquête ou d’autopsie dans le but d’élucider les causes de sa mort », précise-t-il. Imam Moctar Ndiaye indique d’ailleurs que la législation islamique dit que : « toute personne ou tout musulman qui meurt doit être inhumé là où on enterre les musulmans dans le respect strict des lois établies par la charia (loi islamique) et cela quel qu’en soit le péché commis de son vivant, la nature ou les circonstances de son décès ». Selon Imam Ndiaye, « l’inhumation d’un musulman est une obligation commune dont l’accomplissement par un seul groupe décharge la responsabilité des autres ». L’islam, conclut-il, « exige l’inhumation d’un défunt pour éviter non seulement que son odeur ne se répande mais surtout encore le mettre à l’abri des bêtes sauvages et respecter sa dignité humaine ».

Léona Niassène se démarque de «cet acte odieux»

Au chapitre des éclairages, le Khalife général a précisé hier, dans un communiqué, que la cité religieuse de Léona Niassène n’est ni de près ni de loin impliqué dans « cet acte odieux ». À en croire Serigne Cheikh Ahmad Tijani Niass : « Des informations erronées ont été relayées par des personnes dont les intentions nous sont inconnues, mais nous tenons à réaffirmer que notre communauté condamne toute forme de violence, d’intolérance et d’atteinte à la vie privée des individus. En ma qualité de chef religieux et khalife général de Léona Niassène, je tiens à exprimer notre profonde indignation et notre condamnation catégorique de l’acte répréhensible qui a été commis à l’encontre d’un individu, dont nous n’avons aucune responsabilité sur sa vie privée. Cet acte ne peut en aucun cas être justifié ni toléré ». Mieux, le guide religieux précise que le cimetière d’où a été exhumé le présumé homosexuel ne relève pas de la compétence de sa communauté, qui ne peut en aucun cas insiste Serigne Cheikh Ahmad Tijani Niass, décider de qui doit être inhumé ou non dans ces lieux.
« Nous tenons à prendre l’opinion nationale et internationale à témoin, affirmant haut et fort que Léona Niassène ne prône en aucune manière un tel comportement. Notre foi est basée sur les enseignements de l’Islam, qui prônent la paix, la tolérance, la compassion, et le respect des droits individuels. Nous condamnons toute interprétation déviante de notre religion qui justifierait de tels actes », relève la note des membres de la cité religieuse. Avant d’appeler à l’unité, à la compréhension mutuelle, et à la préservation de la paix et de l’harmonie au sein de leur communauté et dans le monde entier. « Notre engagement envers la foi et les enseignements de l’Islam reste inébranlable, et nous continuerons à œuvrer pour la promotion de ces valeurs fondamentales », ont -il écrit.

Dénonciations tous azimuts

 Toujours dans le registre des dénonciations, des organisations de défense des droits de l’homme comme Amnesty International Sénégal, la Rencontre Africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho) et la Ligue Sénégalaise des droits Humains (LSDH) ont mutuellement « vigoureusement » condamné cet acte qui, dit-on, porte atteinte à la dignité du défunt et de sa famille. Dans une note rendue publique, ces organisations renseignent qu’elles « ont été informées qu’une personne inhumée dans un cimetière à Kaolack a été exhumée et brûlée par des individus non identifiés dans la soirée du 28 novembre 2023 ». Elles exhortent, à cet effet, l’autorité judiciaire qui, en la personne du procureur de la République, a ouvert une enquête pour rechercher les auteurs et à les traduire en justice. Ainsi, d’après ces organisations, la création, la désaffection, ou l’agrandissement des cimetières relèvent des compétences des maires des communes et des villes (article 81 alinéa 11 et article 169 alinéa 8 du code général des collectivités territoriales).
Partant de là, les maires ont l’obligation de délivrer un permis d’inhumer les proches de toute personne décédée et de veiller à la sécurité des cimetières. Pour Abass Yaya Wane, exhumer un corps, le trainer et le brûler sont des actes « d’une extrême gravité » qui relèvent de la barbarie et interpellent les autorités.

Articles similaires

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires