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Fatou Blondin Diop, membre de Yewwi Askan Wi « Le Sénégal de Macky Sall, c’est le Sénégal des mandats de dépôt »

Membre de la coalition Yewwi Askan Wi et du Mouvement Citoyen F24, Fatou Blondin Diop a accordé un entretien à votre quotidien Yoor-Yoor Bi. L’opposante au régime de Macky Sall s’est prononcée sur l’actualité politique nationale, les manifestations de la diaspora sénégalaise à New York, la restriction des libertés et l’emprisonnement du leader des Patriotes, Ousmane Sonko. Fatou Blondin Diop par ailleurs responsable du mouvement Senegaal bi ñu bëgg a également fait savoir de vive voix que les Sénégalais « n’accepteront pas le scenario Mouhamadou IssoufouMohamed Bazoum au Sénégal en 2024 ». Entretien !

La diaspora sénégalaise à New-York a conspué le Président sortant, Macky Sall, lors de son séjour aux USA pour les besoins de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies. Certains analystes estiment que c’est la résultante des interdictions de toutes les manifestations pacifiques à l’initiative de l’opposition et de la société civile au Sénégal. Quelle est votre appréciation ?

C’est le résultat de toute sorte d’interdiction de manifestations dès lors qu’il s’agit de l’opposition. Les droits des opposants sont bafoués. Et dans l’impossibilité d’organiser des manifestations avec des cortèges, des sit-in et des conférences de pressesur notre territoire, on les délocalise dans des pays plus démocratiques où vous avez la possibilité de vous exprimer. Ce qu’on ne peut pas faire au Sénégal, on le fait à l’étranger. Voilà où nous en sommes au Sénégal. On prend acte de toutes ces interdictions. Et on se pose la question jusqu’où celava aller ?

Ce n’est pas la première fois que le Président Macky Sall soit hué en Occident. C’était le cas à Paris et à Bruxelles il y a quelques mois où la diaspora sénégalaise avait manifesté pour dénoncer les violations des droits humains et l’arrestation du leader de Pastef, Ousmane Sonko. Mais au Sénégal, depuis quatre mois, l’opposition et la société civile n’arrivent plus à manifester dans les rues du pays…

Un chef d’État qui, à chaque fois, est en France, Belgique, Italie, Espagne, Portugal ou aux États-Unisentraine des échauffourées entre Sénégalais de tendances politiques différentes, on ne peut pas dire que cela donne une bonne image du Sénégal. C’estanormal que le Président ne se préoccupe pas de son image. En 2012, la diaspora avait soutenu le candidat Macky Sall. En 2023, le rejet est proportionnel à l’espoir qu’il avait suscité. Les expatriés sont très déçus. Ils s’attendaient à un autre Sénégal. Beaucoup espéraient pouvoir rentrer tranquillement au Sénégal. Ils participent énormément à l’économie sénégalaise. Les indicateurs montrent que leur apport est beaucoup plus significatif que l’aide au développement ou toute autre aide. Macky Sall avait leur confiance et les a déçus. Là, c’est le retour de bâton.

« Macky Sall a produit ce Sénégal des mandats de dépôt »

Nous sommes en train d’essayer trouver une façon de manifester sans mettre le pays dans le chaos. Ce n’est pas la conviction de se battre qui manque. Mais quand on sort juste pour manifester et faire des discours, les autorités vous poursuivent avec des charges qui peuvent vous mener en prison pendant des mois sans qu’il y ait instruction. Les libertés sont complètement mises entre parenthèses dans le pays. On se pose la question comment engager le combat politique sans qu’il y ait des dégâts matériels et des pertes en vies humaines. Macky Sall a produit ce Sénégal des mandats de dépôt. J’espère que nous arriverons à le déconstruire. Je suis de nature optimiste. Je ne désespère. C’est un combat et cela prend du temps. Nous avons été secoués dans un premier temps parce que nous ne nous attendions pasà ce que nous soyons là à nous battre en 2023 pour le droit de manifester. Je ne m’attendais pas à ce genre de combat. Je pensais à l’avenir des nouvelles générations, au vote électronique, à la consolidation de la démocratique participative.

« Tous ceux qui participent à ce processus de restrictions des libertés que ce soient les préfets ou d’autres qui prennent de simples arrêtés en supplantant les articles de la Constitution, toutes ces personnes vont rendre compte »

Le Sénégal a reculé aux combats des années 1990.Avec Macky Sall, on est retournés à l’âge de pierre de nos combats démocratiques entre 2012 et maintenant. Tous ceux qui participent à ce processus de restrictions des libertés que ce soient les préfets ou d’autres qui prennent de simples arrêtés qui supplantent les articles de la Constitution, toutes ces personnes vont rendre compte. C’est la moindre des choses. Le Sénégal devenu une République l’impunité. En plus de cela, la pauvreté a augmenté. On peut la mesurer par rapport au nombre de bourses sociales qui augmente d’année en année. En termes de gouvernance, on ne dispose pas de moyens pour ceux qui ne respectent pas la loi et sont au pouvoir puissent être sanctionnés à la mesure de leur forfait. Il y a un certain nombre de lois qui donnent certaines prérogatives au Président Macky Sall mais on veut refuser à Ousmane Sonko tous ses droits. Nous espérons diriger ce pays et bâtir une République. Nous nous battrons pour avoir un changement radical quel que soit le prochain président de la République. Nous trouverons les moyens. On ne reculera pas.

Le Premier ministre, Amadou Ba, s’est affiché comme le candidat de la continuité. Vous vous battez pour le départ de tous ceux qui ont soutenu Macky Sall. À votre avis que faudra-t-il faire pour arriver un changement de régime dans la paix ?

Quand la presse est bâillonnée, ce n’est pas que la presse qui est interpellée. Quand on arrive plus à diffuser certaines informations au Sénégal, c’est la République qui est balafrée. C’est un combat qui concerne tout le monde. Le Sénégal est un peuple averti. Il se passe énormément de choses en underground. Nous trouverons les chemins pour arriver à un changement. Il y a énormément de jeunes gens qui meurent en Méditerranée à cause de la pauvreté, du chômage endémique. Les gens ne mangent pas à leur faim. C’est avec la mobilisation politique que les réponses viendront.

Que vous inspire la jonction des procédures visant à alourdir les charges à l’encontre des responsables de Pastef en l’occurrence Bassirou Diomaye Faye et Fadilou Keita ?

C’est évident que c’est pour empêcher aux responsables de ce parti de participer à l’élection présidentielle de 2024. Cela ne peut pas continuer. Il s’est passé des choses inconcevables. Comment veulent-ils mettre sur le dos de ces responsables des événements qui se sont déroulés pendant que ces gens-là étaient prison. On parle de la toute-puissance du Procureur qui quand il vous poursuit, en général, le juge n’a pas d’autre choix que de vous placer sous mandat de dépôt. C’est ce que nous ne voulons plus.

« Ce régime ne peut pas rempiler. Ce serait une catastrophe pour le Sénégal »

Ce régime ne peut pas rempiler. Ce serait une catastrophe pour le Sénégal. Quel que soit le candidat de l’APR qui passe, ce serait une catastrophe pour les libertés publiques et la démocratie parce qu’ils sont tous complices. Ils ont battu campagne pour Macky Sall en 2019 et consolidé ce système. Après avoir pillé ce pays avec des candidats milliardaires qu’ils nous montrent qu’ils ont autre chose à nous proposer que ce Sénégal complètement exsangue avec un endettement pharamineux. Ceux qui ont occupé des fonctions de directeur général d’entreprises nationales, ministre, quels sont leurs bilans ? Depuis que le Président Macky Sall nous a vendu le YoonouYokkute très séduisant, on en arrive à un Sénégal à la traine. Quand un candidat à la présidence a 8 milliards alors qu’il n’a été que fonctionnaire, on se demande où il a gagné tout cet argent. Quand un ministre dépense des milliards du contribuable sénégalais dans une campagne, les Sénégalais doivent se demander ce que fera cet homme une fois au pouvoir. Ils sont responsables des agences de l’État alors que les populations n’ont pas une éducation de qualité, ni assainissement encore moins des centres de santé bien équipés. Le nombre de bénéficiaires de bourses sociales est un excellent indicateur de l’augmentation de la pauvreté.

Est-ce que vous vous attendez à la libération du leader de l’opposition, Ousmane Sonko, et de tous les détenus politiques avant l’élection présidentielle du 25 février 2024 ?

Je prie pour cela parce que nous avons une République à conserver. Le régime veut nous mener vers une impasse. Les tenants du pouvoir sont prêts à tout. Nous sommes chargés de faire extrêmement attention pour ne pas fragiliser la République pour que ce pays ne bascule pas dans certain scenario. Nous sommes là aussi pour empêcher le scénario Issoufou-Bazoum. Ce scenario,l’on met l’opposant principal en prison en l’accusant de choses complètement farfelues pour mettre au pouvoir un homme qui fait le bonheur des milieux d’affaires, ne passera pas. Nous n’accepterons pas cela. Il faut que la vérité émerge et que les gens choisissent de façon éclairée et libre leur prochain dirigeant. Pour le moment, je ne vois pas des signes d’apaisement pour faire libérer les détenus politiques. C’est pour cela que le combat de février 2024 tient toute son importance et tout son sens.

Propos recueillis par ABLAYE DIALLO

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