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NGAGNE DEMBA TOURÉ À CŒUR OUVERT «Nous sommes des Patriotes. Nous ne trahirons jamais le projet»

Ngagne Demba Touré, coordinateur de la Jeunesse patriotique sénégalaise du Pastef, donne ses réflexions sur la situation politico-judiciaire qui structure l’actualité nationale. La situation médicale de son leader politique, l’auto-saisine du procureur sur la divulgation des données sanitaires de Sonko, le comportement de la DGE, l’aphonie de la CENA, la participation de Pastef à la présidentielle, tels sont les principaux points sur lesquels le greffier Ngagne Demba Touré, qui a préféré quitter le Sénégal pour des raisons politiques, s’est entretenu avec votre quotidien Yoor-Yoor bi.

 

D’abord, comment vivez-vous votre situation d’exilé ?

Je vis ma situation avec beaucoup de sérénité. Il y a deux volets : d’une part le volet stratégique et d’autre part le volet social. En ce qui concerne le premier volet, j’ai choisi de quitter mon pays pour être en mesure de continuer à mener le combat démocratique qui incombe à notre génération. Donc, c’est un choix individuel que j’ai fait après une lecture profonde de la situation d’injustice institutionnalisée qui prévaut dans le pays. Par conséquent, c’est une option lucide que j’ai prise en toute responsabilité.

Quant au volet social, sachez que je me porte bien Alhamdoulilah. Malgré la tentative d’assèchement du gouvernement qui me refuse tous les documents administratifs auxquels je dois avoir accès, je parviens à vivre décemment et en toute sécurité.

Comment appréhendez-vous la grève de la faim de votre leader ? Et qu’avez-vous ressenti en découvrant sa situation médicale révélée dans la lettre du Médecin commandant, Médecin chef de l’administration pénitentiaire, adressée au ministre de la Justice ?

C’est un drame qui est en train de se dérouler sous nos yeux. Les dernières nouvelles sur l’état de santé du Président Ousmane Sonko dépassent l’imagination naturelle. En toute vérité, à cause de la méchanceté du régime, il est aujourd’hui entre la vie et la mort. Tout être humain doté d’un minimum d’humanisme est interpellé particulièrement les acteurs politiques, ceux de la société civile, les journalistes, les magistrats, les religieux.

La grève de la faim qu’il fait n’est qu’une réaction à une injustice qu’il est en train de subir. Et il n’est ni le premier acteur politique ni le premier prisonnier à l’avoir fait. Nelson Mandela, Gandhi ou même Abdoulaye Wade l’ont fait. C’est une marque de sacrifice ultime et d’engagement patriotique qui montre qu’il est prêt à tout pour son pays. Il est dans le don de soi pour la patrie. En outre, cette grève de la faim est le seul moyen de lutte qui est à sa disposition.

Que certains qui tentent de lui donner des leçons de morale dénoncent d’abord la cause de la grève. Et la cause n’est rien d’autre que son emprisonnement arbitraire et brutal.

Enfin, nous qui sommes en liberté, nous sommes tous interpellés. Battons-nous à sa place comme il l’a toujours fait pour nous. Sinon, nous risquons de le perdre.

D’ailleurs, cette lettre a été à l’origine de l’auto-saisine du Procureur de la République qui a décidé d’ouvrir une enquête aux fins de poursuivre les auteurs de cette publication de correspondance administrative. Votre commentaire !

C’est aujourd’hui que le Procureur Abdou Karim Diopse soucie du respect des droits du Président Ousmane Sonko ? Je lui rappelle que l’arrestation de notre leader qui est à l’origine de tout cela provient d’une collecte illicite de ses données à caractère personnel. Le vendredi 28 juillet, jour de son arrestation, la femme gendarme prétendue victime d’un vol de son téléphone portable le filmait à son insu et en violation flagrante de la loi. Au lieu de poursuivre la gendarme, le Procureur avait opté d’ordonner l’arrestation du Président Sonko.

En plus, la sacralité de la vie humaine, le respect de ses droits fondamentaux et la protection de ses libertés civiles et politiques priment sur la divulgation d’une correspondance administrative qui ne préjudicie nullement le principal concerné.

Enfin, les avocats de Ousmane Sonko sont les plus habilités à défendre ses intérêts conformément à son mandat. Et ils ont affirmé par un communiqué que leur client n’est pas demandeur de cette supposée protection arguée par le Procureur. S’il est vraiment convaincu de ce qu’il prétend, il n’a qu’à arrêter ceux qui l’avaient filmé lors de son interpellation par la gendarmerie lors de la caravane de la Liberté au 29 mai dernier, partagé ses photos et effets personnels sur les réseaux sociaux.  

Tout cela est la preuve parfaite que le Sénégal, sous Macky Sall, n’est plus un État de droit. Aux termes du préambule de notre Constitution, la République sénégalaise s’est proclamée comme un État de droit où aussi bien l’État que les citoyens sont soumis au droit. Notre République est à terre.

Quelle analyse faites-vous du refus de la DGE de remettre les fiches de parrainage à Ousmane Sonko ?

Primo, l’administration électorale n’est pas juge de la recevabilité des dossiers de candidature. La DGE n’avait pas à refuser de remettre les fiches de parrainage à un quelconque candidat.

Secundo, le Président du Tribunal d’instance de Ziguinchor a pris une ordonnance annulant la mesure de radiation et enjoignant l’administration de réintégrer Ousmane Sonko sur les listes électorales. Donc le fondement sur lequel le refus de la DGE était assis a été anéantie. La décision judiciaire doit être respectée.

Par ailleurs, le summum de l’irresponsabilité de la DGE se traduit par son communiqué laconique et catastrophique qui ne fait référence à aucun texte de loi mais qui s’arc-boute sur une intention présumée de l’État, partie au procès, de se pourvoir en cassation. Mieux, ce pourvoi, même introduit, n’est pas suspensif. Et c’est ce qui ressort expressément des articles 36 et 74-2 de la Cour suprême.

Enfin, l’article L47 alinéa 4 du code électoral dispose que les décisions de justice intervenues en la matière doivent être immédiatement appliquées. Ce qui se passe n’est rien d’autre que de l’injustice d’État.

Pensez-vous que cette DGE au banc des accusés pourra garantir la transparence dans la gestion de l’élection de 2024 ?

La DGE sous Tanor Thiendella Fall est disqualifiée. De même, le ministre partisan Sidiki Kaba est disqualifié. Il faut rappeler que c’est la Direction des opérations électorales, entité de la DGE, qui organise les élections en coordination avec l’administration territoriale qui est aujourd’hui clanique et partisane. Le processus électoral est aujourd’hui miné. Si l’opposition ne se mobilise pas pour faire face, l’élection sera pliée en faveur d’Amadou Ba.

Comment jugez-vous cette atonie de la Cena saisie par les conseils de Sonko ?

La CENA est instituée par la loi 2005-07 du 11 mai 2005 qui régit son organisation, sa compétence et ses pouvoirs. Il ressort de l’article L.3 de cette loi qu’il a un pouvoir d’auto-saisine en cas de violation de la réglementation électorale. Mais, force est de constater que malgré toute la clameur publique sur le non-respect de la loi électorale, la CENA est restée aphone.

C’est pourquoi, nous avons décidé de la mettre devant ses responsabilités en la saisissant. Aujourd’hui, elle est obligée de statuer sous peine de déni de justice. Elle est également tenue de rétablir Ousmane Sonko dans ses droits sous peine de perte définitive et irrémédiable de sa crédibilité. En effet, selon l’article L.13 du code électoral, elle doit enjoindre la DGE d’apporter les mesures de correction en l’espèce. Et si l’administration persiste, elle a le pouvoir de la dessaisir et se substituer à elle en remettant au mandataire de Ousmane Sonko les fiches de parrainage.

L’Agent judiciaire de l’État (Aje) a saisi la Cour suprême pour casser la décision du juge Sabassy Faye. Ne craignez-vous pas que cette haute juridiction aille dans le sens de la volonté de l’Aje au regard de ce qui précède ?

La Cour suprême n’a aucun fondement juridique ou factuel pour casser l’ordonnance rendue par le juge Sabassy Faye. Les faits sur lesquels il a fondé sa décision sont considérés comme tels car la juridiction suprême n’est pas juge des faits. Or, parmi les faits, il y a l’absence de versement dans le dossier des documents illustrant l’accomplissement des formalités de publicité édictées par la loi en ce qui concerne la déchéance du contumax de ses droits. Donc, la radiation ne peut avoir lieu conformément à la loi.

Si la Cour suprême rame à contre-courant de la décision rendue en première instance, son image sera compromise à jamais. Et le peu d’espoir que les Sénégalais fondent en la justice sera définitivement enterré.

Le leader est en grève de la faim au point d’être inconscient, des responsables du Pastef, militants et sympathisants sont en prison, des responsables comme vous, Khadija Mahécor, Top Sadikh et autres sont hors du territoire national. Le moral du combat est-il toujours au top ?

Notre moral est au meilleur niveau. Et l’illustration parfaite de cet état d’esprit victorieux est qu’il n’y a aucune défection ni transhumance au sein de nos rangs depuis le début de ces dures épreuves. Nous sommes des Patriotes. Nous ne trahirons jamais le projet. Les initiatives de résistance se multiplient. La plateforme Chemin de la Libération créée par la JPS (Mouvement des jeunes du parti) et le FRAPP multiplie les actions. Dans ce cadre, le collectif des familles des détenus politiques a été mis sur pied. Leur prise en charge sociale et l’assistance à leurs familles sont assurées par le parti. La manifestation du vendredi dernier a été une grande réussite. Ce samedi, nous avions décrété la journée internationale de mobilisation contre l’injustice d’État. Malgré l’interdiction de nos manifestations dans 11 départements du Sénégal, la diaspora a manifesté partout. Les levées de fonds pour la campagne se multiplient. Toutes les structures du parti sont fonctionnelles. En somme, en dépit de l’épidémie de la dissolution, Pastef est en bonne santé politique.

Avec tout ce qui vous arrive au Pastef, avez-vous la certitude que votre leader sera sur la ligne de départ en février 2024 ?

La candidature du Président Ousmane Sonko repose sur trois axes. Le premier est juridique. Aujourd’hui, il jouit toujours de tous ses droits civils et politiques.

Le deuxième est politique. Il a été investi par plus de 1600 délégués patriotes issus des 46 départements du Sénégal et des 8 circonscriptions de la diaspora le 13 juillet 2023, sous la supervision et la validation de la Haute Autorité de Régulation du Parti dont je suis membre.

Le troisième et dernier axe est populaire. Sa candidature ne dépend que de la volonté du peuple.

Avant de terminer, un mot sur l’émigration clandestine. Une vraie tragédie ?

Oui, c’est une vraie tragédie qui traduit l’échec des politiques publiques notamment les politiques de l’emploi. Aujourd’hui le taux de chômage est de 24,1 % selon l’ANSD dont 25 % en milieu rural. À cette situation économique s’ajoute une crise politique marquée par la restriction des libertés individuelles et collectives. Aujourd’hui, les jeunes n’ont plus de perspectives dans leur propre pays. L’espoir n’est plus permis. L’échec du régime de Macky Sall est cuisant. À quatre mois de son départ après 12 ans d’exercice du pouvoir, les jeunes quittent en masse et clandestinement le pays avec tous les risques. C’est une hécatombe !

La croissance du PIB projetée à 10,1% dans la loi de finances 2023 ne sera finalement que de 4, 1 % en 2023 soit un écart de 6 % entre les projections et la réalité. Il en sera de même pour la LFI 2024. Qu’est-ce qui explique cette contre-performance économique ?

Cette contre-performance économique n’est favorisée que par la mal-gouvernance et le manque de vision. Aujourd’hui, les nombreux détournements de deniers publics et le bradage de nos ressources naturelles au profit des puissances étrangères ont conduit à des finances publiques opaques et non assainies.

Quant à la vision économique, elle repose sur un endettement excessif, une politique fiscale qui taxe plus les travailleurs et les ménages au lieu d’imposer les grandes entreprises, un coût de l’énergie excessivement cher, une structure économique précocement tertiarisée et dominée par les compagnies étrangères, un tissu industriel inexistant, une agriculture saisonnière et moyenâgeuse, une balance commerciale constamment déficitaire, un marché non compétitif et surtout dépendant des fluctuations internationales et enfin un attelage macroéconomique tributaire du diktat des institutions de Bretton Woods. Avec un tableau aussi sombre, même avec une croissance à deux chiffres, le Sénégal ne sera jamais un pays prospère. Et ce fut le cas de l’Irlande.  

Votre mot de la fin !

Je loue l’engagement des Patriotes d’ici et de la diaspora qui, malgré les rudes épreuves, font quotidiennement montre d’un engagement implacable. Je suis fier de leur détermination. Je remercie l’équipe de Yoor-Yoor Bi pour l’invitation et leur adresse mes sincères encouragements dans le rôle significatif que joue votre quotidien dans la conscientisation citoyenne.

Propos recueillis par

MOUSSA FALL

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