La presse sénégalaise au centre des débats. Le paiement des impôts dus soulevé par les nouvelles autorités a créé une sorte de séisme au point que ça tire dans tous les sens. Certains parlent d’un casus belli, d’autres d’une mise à mort de la presse. Ce n’est un sentiment ni d’acharnement ni de déréliction. C’est une obligation.
Par MOUSSA FALL
Les éditoriaux s’enflamment et les chroniques s’embrasent. Alors pourquoi tout ce bastringue ? Pourquoi cette résistance fiscale ? Pourtant, il s’agit de s’acquitter d’une dette fiscale et rien d’autre. La rupture par rapport à la tradition faussement pardonneuse des présidents Wade et Macky entraine ce sentiment d’acharnement, de déréliction voire de mise à mort d’un secteur qui s’est toujours vanté d’être un pouvoir qui fait et défait des Présidents. Et c’est ce qui explique pourquoi les Présidents pouvoiristes ont toujours chouchouté la presse très souvent experte en matière de chantage.
UNE PRESSE SÉNÉGALAISE
SOUS PERFUSION FINANCIÈRE
Il est vrai que la presse sénégalaise vit depuis plusieurs années sous perfusion financière. Aussi se voit-elle obligée de demander systématiquement aux autorités étatiques certaines faveurs pour ne pas disparaître. Ce qui est très compréhensible. Mais cela ne doit pas se faire aux antipodes des lois de la République. Le 18 janvier 2014, Macky Sall avait décidé d’effacer la dette fiscale de 7,5 milliards contractée par les entreprises sénégalaises de presse avant la date du 31 décembre 2013. Ce qui était une entorse à l’article 715 du Code général des impôts.
Pourtant 23 mois auparavant, elle avait bénéficié d’un effacement fiscal de presque 20 milliards. Le 19 mars dernier, le CDEPS dirigé par Mamadou Kane a sacrifié à la tradition : aller implorer Macky Sall d’éponger la dette fiscale et les redevances ARTP qui s’élèvent à plus de 40 milliards. Malheureusement Macky n’a pas pris un décret en ce sens. Les nouvelles autorités ont décidé légalement de faire payer aux entreprises de presse leurs impôts. Et voilà que les journalistes qui se croient citoyens à part ont décidé de ruer dans les brancards pour déclarer qu’une telle mesure des nouvelles autorités est un casus belli contre la presse. Pourtant la mesure n’est qu’une invite au patriotisme fiscal parce que dans l’effort de la construction du pays, aucune obligation fiscale n’est de trop. D’ailleurs l’aide dont bénéficie annuellement la presse est tirée des redevances fiscales et autres taxes des contribuables. C’est dire que les patrons de presse devaient être en ligne de front dans l’accomplissement d’un devoir civique tel que payer ses impôts. Mais que nenni ! On dénonce les fraudes fiscales des autres entreprises alors que nous refusons de nous appliquer la loi. Où est l’équité dans tout ça ? Charité ordonnée commence par soi-même. Donc nul n’est à l’abri des contraintes pécuniaires à verser dûment dans les caisses des impôts de l’Etat. Ces effacements répétitifs dus à la précarité posent le problème de la viabilité du modèle économique de nos entreprises de presse.
Les difficultés qui s’abattent sur le secteur de la presse se traduit par la raréfaction croissante des ressources financières qui sustentent les entreprises de presse. Ces dernières luttent pour leur survie économique. Le marché publicitaire est déficitaire s’il n’est pas inégalement réparti. Les ventes des journaux tabloïds ont chuté drastiquement et les abonnements n’évoluent pas. Plusieurs médias sont sous perfusion financière quasi-permanente, vivent dans un état comateux. Même l’aide à la presse que se partagent indûment les médias dans sa diversité ne peut donner un coup d’oxygène à cette presse nécrosée, voire moribonde, qui étouffe sous le fardeau des charges. Pourtant, il est de notoriété publique sous les règnes de Wade et de Macky que la plupart de ces organes bénéficiaires et organisations syndicales (presse écrite, audiovisuelle, en ligne) ne remplissent pas les cahiers de charges pour pouvoir bénéficier de cette aide. Certains titres ne sont exhumés des débris moisis de leur support jauni que lorsque la distribution de cette aide est annoncée à hue et à dia sur la place publique. Cette aide, en réalité, n’est qu’un appui financier personnel aux propriétaires des organes de presse puisque les journalistes soutiers qui officient dans ces derniers ne perçoivent que rarement les senteurs enivrantes de l’argent distribué par l’Etat.
Indépendamment des raisons financières ou de l’internet qui met gratuitement à la disposition du lecteur ce que les journaux classiques lui vendent, la qualité de l’information livrée aux citoyens laisse à désirer. Cette information médiocre n’attire plus parce ceux qui sont chargés de la travailler et de la rendre réceptive manquent de formation s’ils ne sont pas incultes. Ainsi le lecteur se rabat sur l’information de caniveau qui semble plus être la matière première de la presse en ligne. Ces sites internet, spécialisés dans l’art du copier, fleurissent comme des champignons sur la toile et vont même ravir le lectorat aux vrais sites d’information.
LES JOURNALISTES : UNE CASTE
SOCIOPROFESSIONNELLE PRIVILÉGIÉE
On pensait qu’avec l’effacement de la dette fiscale de 2011, les patrons de presse allaient réfléchir sur un modèle de gestion qui leur permettrait de ne plus tendre une main quémandeuse en direction des autorités étatiques. Mais voilà que les mêmes reviennent à Canossa l’échine courbée pour solliciter encore des effacements fiscaux. Les journalistes, très enclins à jouer aux pontifes moralisateurs, devaient s’arrêter et faire une introspection. Quand le petit vendeur de café Touba avec des recettes journalières insignifiantes ou la vieille vendeuse de cacahuètes se fait harceler par les agents municipaux pour s’acquitter de sa taxe journalière, les patrons de presse, qui dénoncent sans aménités les fossoyeurs de l’économie qui fraudent ou louvoient pour ne pas payer leurs impôts, devraient rougir de honte. Pourquoi les journalistes sont-ils condamnés à subir sans interruption le supplice de Sisyphe ? Une entreprise de presse, pour qu’elle soit viable et solvable, a besoin d’avoir à sa tête, indépendamment des journalistes qui constituent sa colonne vertébrale, un bon gestionnaire capable de transcender les difficultés auxquelles se heurte toute entreprise dont le but est de faire des profits.
Aujourd’hui, il est impératif que les acteurs de la presse, principalement les entrepreneurs, réfléchissent sur un modus operandi économique qui éviterait aux patrons de presse de tendre systématiquement la main aux autorités. Le modèle économique des entreprises de presse n’est pas viable parce que toujours déficitaire. En 1992, les quatre mousquetaires de la presse privée que sont Babacar Touré de Sud Quotidien, Sidi Lamine Niass de Wal Fadjri, Mamadou Oumar Ndiaye du Témoin et Abdoulaye Bamba Diallo du Cafard libéré, voyant leurs entreprises de presse asphyxiées par des difficultés financières tout au contraire des médias d’Etat (RTS et Soleil), avaient saisi l’alors président de la République, M. Abdou Diouf, pour un plan de sauvetage de leurs outils de travail, lesquels sont indispensables à la démocratie balbutiante de notre pays. Le président donna des instructions aux directions de sociétés nationales pour prendre de la pub dans ces journaux en même temps qu’il décidait de leur octroyer annuellement un appui financier pudiquement appelé aide à la presse. Depuis lors, l’idée a fait son chemin mais elle est dévoyée de son essence puisqu’elle est devenue une sorte de « tong-tong » où chaque éditeur d’une feuille de chou au tirage lilliputien ou d’un site plagiaire reçoit sa part.
SECOURS DE L’ÉTAT :
LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ALIÉNÉE
Si le président Macky Sall avait effacé de façon péremptoire la dette fiscale des entreprises de presse en 2014, c’est parce qu’il s’attendait à une contrepartie dont la nature n’est pas difficile à définir. Elle consiste à faire bénéficier au président ou à son gouvernement d’une certaine grâce là où un réquisitoire objectif serait plus approprié. Cela ne fait que poser le problème de la liberté d’expression, pierre angulaire d’un journalisme assumé et responsable. Si la presse bénéficie itérativement d’avantages financiers de la part de l’Etat, elle risque très souvent de manquer d’objectivité, de diluer l’encre de sa plume ou de se transformer en propagandiste lorsqu’elle traite toute affaire afférente au pouvoir. Et là, c’est la démocratie qui risque d’en prendre un sacré coup.
En République, la forme achevée de la démocratie s’obtient par la liberté de s’exprimer, de critiquer pour améliorer, de choisir ceux qui sont aptes à conduire les destinées d’une nation. Cette démocratie permet alors aux citoyens d’un pays d’être au diapason de l’information et, par voie de conséquence, de contribuer positivement à son développement. Mais si cette information est déformée ou biaisée pour cause de prébendes, de passe-droits ou de bakchichs accordés par les autorités étatiques ou par un quelconque détenteur d’une puissance financière, le journaliste perd la quintessence de son métier, c’est-à-dire l’indépendance dans la réflexion et la liberté dans l’expression. Ainsi si les patrons de presse sollicitent fréquemment l’absolution fiscale ou l’aide financière de l’Etat, il leur sera très difficile de sauvegarder la liberté d’expression si chère à leur existence.