Un modèle de patience et de persévérance
Le directeur du site PressAfrik est un passionné du monde médiatique. En plus de son travail de journalisme, Ibrahima Lissa Faye se donne également à fond dans la défense de ses pairs, ce qui lui vaut souvent des contrecoups.
Par HABIBATOU TRAORÉ
Son nom est étroitement lié à la défense des professionnels des médias, Cette année, il a été au-devant de la scène à chaque fois qu’un journaliste aconnu des déboires judiciaires. Sur les plateaux télé ou radio, site internet ou presse écrite, Ibrahima Lissa Faye a usé de son aura pour assister ses collègues.
Victime de sa franchise professionnelle
Entre convocations, arrestations et même emprisonnements… Il y en a eu. Le président de l’Association des éditeurs et professionnels de la presse en ligne (Appel) a cependant payé un prix fort pour son engagement à défendre ses pairs. « C’était des situations très dures, j’ai été dans la bataille, la négociation et la recherche de solutions ». L’ancien journaliste du journal Sud quotidien qui trouve légitime cette solidarité de corps a connu pour cela des contrecoups avec son entreprise. « Cette année, nous avons perdu trois contrats. Des partenaires ont décidé de me tourner le dos pour des raisons politiques qui ne tiennent pas. Je ne suis pas politique, je suis journaliste et je peux me réclamer d’être l’un des journalistes à être totalement indépendant et libre et je ne vais monnayer ma liberté pour quoi que ça soit. Malheureusement, il y a des gens qui pensent que je suis plus de l’opposition et qui ont tenté de me couper les vivres mais je continue à exister. Aujourd’hui, si je n’espérais que ces contrats pour faire fonctionner mon entreprise peut-être que je n’aurais pas survécu jusqu’au mois de septembre et je serais à trois ou quatre mois d’arriérés de salaire ». En cette matinée du mercredi 20 septembre 2023, après une nuit pluvieuse, le natif de Dakar, vêtu d’une chemise blanche rayée de trait noir, nous reçoit dans les locaux de son entreprise de presse à Jet d’eau. Lissa, comme on l’appelle, estime que cette situation due à son engagement a ralenti son plan de développement. Toutefois, l’homme au teint noir ne regrette aucun de ses actes et promet d’être devant si la situation devait se reproduire.
Un vrai passionné de la presse
« J’y crois fermement et ce ne sont pas ces mesurettes ou ces tentatives de musèlement qui vont me retenir parce qu’on appartient à une profession et quand je l’intégrais, je sentais cette solidarité, cette passion qui débordait je suis toujours dans ça. Quand je vois un reporter ou un confrère en difficulté, je fais tout pour lui tirer d’affaire. Si je dois y laisser des plumes, ce n’est pas un souci. Et malgré tout, il y a des confrères qui tentent de me détruire, ils racontent des histoires sur moi et font croire aux gens des choses qui n’existent pas. Le mal est dans notre profession, dans la famille, on ne s’aime pas ». Le membre de la Coordination des associations de presse (CAP) se décrit comme un passionné du métier. Entre le journalisme et Ibrahima Lissa Faye, c’est un amour de jeunesse. Le polygame et père de famille s’est fixédepuis le collège l’objectif de devenir journaliste. Pour ce faire, l’originaire de Sibassor (département de Kaolack) se donne à fond pour obtenir son bac afin d’intégrer une école de journalisme. C’est en deuxième année de formation à l’Institut supérieur des technologies de l’information et de la communication qu’il toque à la radio Sud FM pour les besoins d’un stage afin de commencer la pratique de sa passion. Il ne sera pas admis à la première demande car étant encore étudiant. Le féru de la littérature ne démord pas et continue de mettre la pression sur le rédacteur en chef de la première radio privée du Sénégal. « J’y allais toutes les semaines et il a fini par accepter de m’accorder un stage d’un mois en août 2000. J’y ai trouvé une très forte rédaction,très dense et les réunions de rédaction très houleuse. Et ça a beaucoup contribué à ma formation. »
Groupe Sud, RTS, Énergie FM, Presse des Almadies…
Après l’aventure au Groupe Sud, l’amoureux de la littérature symbolique et de la presse française a fait cap sur Kaolack pour intégrer la station RTS de la région. Dans cette partie centre-ouest du Sénégal, le journaliste devait passer deux mois de stage. « Jesortais régulièrement pour des sujets de reportage, on me donnait des orientations et j’allais sur le terrain et à mon retour, on m’aidait à faire le montage avec les bandes ouvertes, ce que les jeunes méconnaissent. Àcette époque, c’était très compliqué, j’étais jeune et je n’avais pas beaucoup de ressources. Quand je partais à Kaolack, je n’avais que 5000 francs en poche, mais heureusement que je vivais chez des parents ».Ibrahima Lissa Faye ira à l’assaut d’autres expériences. Après la RTS, il passera quelques moments à Énergie FM, dirigée à l’époque par Ben Matar Diop. En 2001, il sera recruté par le groupePresse des Almadies (Predal) après une sélection rigoureuse. « Ce groupe a été créé par Moustapha Dioum et Youssou Ndour, c’était un groupe très puissant où tous les journalistes rêvaient de venir. Et j’y étais de l’ouverture à la fermeture. Il y avait de grands journalistes comme Aliou Ndiongue qui ont contribué à ma formation et c’est là-bas où j’ai appris la presse écrite et me suis fait la main ». Dans la pratique du journalisme, le directeur de PressAfrik, s’est spécialisé en radio. Avec le temps, il se rendracompte qu’il traîne des lacunes qui entravent son travail. « Mon wolof n’était pas des meilleurs, mais je me débrouillais très bien pour le français. Comme je n’étais pas en odeur de sainteté avec le micro, je suis retourné à l’écriture à la Presse des Almadies et Alioune Diongue m’a beaucoup aidé, j’étais tout le temps à ses côtés ».
«On ne gagnait pas beaucoup, mais c’est la recherche de compétence qui nous intéressait»
Le jeune journaliste ne se fixe pas ainsi de limites. Reporter au desk Société, il s’investit pleinement dans la couverture de certains sujets relatifs à la santé, au syndicalisme, notamment avec les électionshouleuses de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (Cnts) où il y a eu mort d’homme, l’emprisonnement de Cheikh Diop et la fraction Cnts/Cnts Fc en 2002. « C’était difficile, on ne gagnait pas beaucoup mais ce qui nous intéressait,c’était une recherche de compétence et surtout avoir une main irréfutable, pour écrire et séduire le lecteur » souligne-t-il. À ce propos, Ndèye Maty Diagne, ex-reporter à PressAfrik, témoigne du professionnalisme de Ibrahima Lissa Faye qui façonne ses collaborateurs et c’est ce qui fait, dit-elle,qu’il a d’excellents profils dans sa rédaction. « J’étaisune jeune stagiaire qui venait fraîchement de l’Iseg mais je peux dire qu’il m’a bien encadré. À l’époque,la presse en ligne était méconnue des Sénégalais,avec lui, j’ai appris à faire des reportages, des compte-rendu, des portraits. Il m’a fait confiance car j’étais encore en deuxième année. C’est avec lui que j’ai couvert pour la première fois le Magal de Touba en 2009. C’est un homme humble, modeste qui aime partager son savoir-faire et aider les jeunes passionnés du métier de journaliste. Il est disponible pour les accompagner », renseigne-t-elle. Après la fermeture de Presse des Almadies, Ibrahima Lissa Faye a connu quelques mois de chômage et c’est dans la semaine où il devait rejoindre le journal Le Matin qu’il a été sollicité par son ancienne famille professionnelle Sud pour combler un manque de bras.Pour 10 jours au départ, il fera finalement 07ans avant de démissionner pour se consacrer à d’autres activités.
PressAfrik, la dure expérience du numérique
Pour Lissa, c’est sa passion du métier et la touche personnelle apportée à l’écriture qui ont permis son intégration à Sud quotidien. « Je pouvais faire une couverture et me limiter au compte rendu mais j’y mettais forcément du reportage, du descriptif pour rendre vivant le papier et je ne faisais pas beaucoup de fautes ».
Malgré la charge de travail importante dans ce journal avec la gestion du desk politique, combinée à la couverture des activités sportives, culturelles et sociales, Lissa Faye s’intéressait également aux TIC. En effet, il fait partie des premiers journalistes spécialisés des technologies de l’information et de la communication et a voyagé un peu partout à travers le monde afin de découvrir les nouveautés dans ledomaine du numérique. C’est à partir de là, que le président de l’Appel décide d’explorer le monde de la technologie et ses opportunités. Il commence par se lancer dans la création d’un blog avant de mûrir un projet de journal en ligne en 2006. Le projet sera validé et les fonds disponibles un peu plus tard pour mettre au monde ce nouveau bébé. Seulement, lacroissance n’a pas été de tout repos. Lissa se souvient que les caisses étaient vides, après six mois d’activités. Et c’était le début de la traversée du désert pour ce journal en ligne qui employait 8 personnes à l’époque. « Le financement était épuisé, il y avait beaucoup de charges et pas d’annonceurs. C’est ce qui nous avait plombé et je dois vous dire que si jen’étais pas journaliste, PressAfrik ne serait pas encore en vie parce que c’était très difficile et il m’arrivait même de quitter Libertés 6 où on avait nos locaux pour marcher jusqu’aux Parcelles Assainies. Il n’y avait pas de partenaires encore moins de sponsors et je payais des salaires, donner le transport pour les reportages et les autres frais liés à l’entretien d’une rédaction ». Armé de conviction, Ibrahima Lissa décide de continuer le projet avec des jeunes passionnés de la presse en ligne et qu’il avait lui-même formé en écriture web et journalisme numérique.
«On a relancé la machine et les annonceurs ont commencé à venir»
Pour faire face aux difficultés économiques de sa boîte, Ibrahima Lissa Faye opte pour un retrait et s’engage à assurer la direction de la communication de l’Office pour l’emploi des jeunes de la banlieue (Ofejban). Avec son salaire mensuel, Lissa continuaità entretenir son entreprise et ce jusqu’en 2012 quand il a pu solder tous ses arriérées de salaires. « On a relancé la machine et les annonceurs ont commencé à venir. On a soldé le prêt qui nous avait permis de lancer PressAfrik. En 2013, on a fêté nos cinq ans mais aussi notre affranchissement par rapport à la banque à tous ces partenaires qui nous ont empêché de dormir et c’est après que j’ai quitté Ofejban pour revenir à PressAfrik ». Sa collaboratrice pendant plus d’an se souvient encore de ses débuts laborieux. « On avait deux versions : française et anglaise, Lissa s’efforçait à les remplir. On faisait de très grands reportages qui ont intéressée des lecteurs et même la presse étrangère. Depuis 15 ans, PressAfrik poursuit son chemin, Lissa est entre temps élu à la tête de l’Appel et je dirais qu’il gère bien cette entité. Il y a plus de 300 sites internet et chacun réclame sa part au ministère, ce n’est pas évident », indique Ndèye Maty Diagne. Qui décrit son ancien boss comme un grand ami très loyal. Après sa 15e année d’existence, le groupe PressAfrik a lancé récemment son web TV et le patron peut se targuer des efforts déployés pour produire son propre contenu. Il informe ainsi que c’est ce qui a occasionné la naissance de l’Appel. Une structure pour réguler le secteur de la presse numérique. « J’avais la possibilité de faire ce qui se faisait à savoir créer mon portail et reprendre ce que Sud mettait comme information. J’ai préféré créer un journal en ligne avec une rédaction normale,régulière, des équipes qui vont en reportage et font le traitement de l’information. Cette pratique a révolutionné le secteur de la presse en ligne ».
«Beaucoup de règles sont foulées au pied»
Sur le fonctionnement actuel de la presse, Ibrahima Lissa Faye trouve que « beaucoup de règles sont foulées au pied ». Le niveau constate-t-il est très bas dans la presse en ligne comme écrite et les rédactions ne fonctionnent plus comme il se doit. Il prône à cet effet l’humilité et l’esprit d’ouverture pour accepter les critiques. Et par la même occasion Ibrahima LissaFaye plaide pour un organe de régulation afin de faire face à la floraison de presse et des « aventuriers dépourvus de tout bagages intellectuels ». Entre autres épines qui étouffent le secteur des médias, il continue à s’indigner de la non application entière du code la presse pour encadrer et légiférer le secteurainsi que la précarité. « Je pense qu’il faut remettre tout à plat, le prochain gouvernement doit régler en premier lieu le passif social. Je ne peux pas concevoir que le journaliste aille à la retraite sans pension ».
La reconversion dans la presse en ligne a aujourd’hui permis à Ibrahima Lissa Faye d’être plus proche de sa famille avec des horaires plus souples, loin des heures de bouclage. Il reste néanmoins très lié à sa famille professionnelle pour qui il est présent dans toutes les circonstances. « Il est social et se déplace à chaque événement heureux ou malheureux de ses collaborateurs. En cas de difficulté, il nous vient en aide. Son défaut est que quand il a une idée en tête,c’est difficile de lui faire changer d’avis. Il s’énerve vite mais, ne prend pas de décisions hâtives. C’est un bon patron, je peux dire que c’est le meilleur que j’ai eu dans mon parcours professionnel », témoigne Salif Sakhanokho, reporter à PressAfrik depuis 2018. S’il décrit son patron comme un homme tolérant et humble, Lissa lui se dépeint comme une personne nerveuse qui déborde de confiance. « Dans mes rapports avec les gens, je considère qu’ils sont saints et j’accumule les déceptions, ce qui fait aujourd’huique je me replie sur mon travail et sur ma famille parce que j’ai vécu trop de déceptions ».