Actualité Editorial

QUEL TRAITEMENT DES ÉVÉNEMENTS DE 2021 À 2024 ?

Le Sénégal a traversé durant la période couvrant les années 2021 à 2024 des événements importants dans sa trajectoire politique mouvementée. Depuis le changement de régime en mars 2024, le sujet revient constamment au centre du débat politique opposant les partisans victorieux de l’alternative 2024 à leurs adversaires de l’ancien régime républicain désormais évoluant dans les rangs de l’opposition. La récurrence des adversités nourries par les protagonistes de cette page noire témoigne certainement de l’intérêt accordé par les acteurs politiques et de la société civile à de tels événements touchant à plusieurs aspects : politiques, sociaux, culturels et économiques. En raison de la complexité de tels événements relevant précisément de la mal gouvernance politique dans un contexte historique de profonde crise de confiance jalonnée par des conflits ouverts, violents, pacifiques, il est, dès lors, indispensable de réfléchir au traitement politique des événements qui se sont déroulé durant quatre ans de folie meurtrière d’un pouvoir refusant tout changement de régime par des élections libres démocratiques et transparentes. Le pouvoir républicain a choisi la violence sociale, politique, la manipulation et des subterfuges juridiques et politiciens pour se maintenir quoi qu’il puisse arriver à l’issue de la présidentielle de mars 2024. Cette dernière a failli simplement ne pas se tenir n’eût été la résistance intelligente d’un peuple debout.

Le Sénégal a ainsi vécu une tragédie sociale et politique. Le chaos social n’a pas eu lieu, mais les bases du modèle démocratique et le socle de l’unité nationale ont vacillé dans la tempête des tensions sociales et politiques. Plus de peur que de mal. Le peuple sénégalais a été vaillant et résilient. Le changement tant souhaité a eu lieu en raison de la combativité et la détermination citoyenne et des acteurs politiques. Le Conseil Constitutionnel a joué une fonction décisive dans le respect de la Constitution, du code électoral et des traditions républicaines. Ces événements sont encore au centre de la vie politique malgré les apparences trompeuses de paix et l’avènement du changement de régime. Le traitement politique de tels événements n’est point simple, quand il s’agit de la mémoire d’un peuple, de réparation des victimes d’une répression sans précédent au Sénégal, de sanctions pénales, administratives et de dépassement individuel et collectif des acteurs d’une société. A la lumière des expériences de divers pays singulièrement africains qui ont connu des moments de crises ouvertes similaires à celle du pays de la Téranga, le traitement le plus indiqué pour dépasser la crise est le dialogue entre toutes les composantes sociales, culturelles et politiques   de la société. Ce mécanisme social et culturel regroupant toutes les parties, peut prendre des formes variées, notamment, le Dialogue national, la Conférence nationale, les Assises nationales. Quelle que soit la modalité de la forme, le plus important réside dans la recherche de la vérité historique et la sincérité du dialogue entre des acteurs protagonistes. La vérité, la justice, la sincérité et le pardon sont des objectifs principaux de telles rencontres. Dans le cas du Sénégal, il ne s’agit pas de l’après d’une guerre civile. Il est plutôt question d’une crise de gouvernance politique qui a tourné mal en raison des pertes de vies humaines, d’abus de pouvoir et de dysfonctionnements graves dans l’appareil de sécurité et la chaine de commandement de la machine politique, administrative et judiciaire.

L’échec de la loi d’amnistie votée à pas de charge pour effacer de tels événements de la mémoire du peuple et de l’opinion publique, illustre les limites de ce cavalier traitement judiciaire des événements de 2021 à 2024 par le pouvoir républicain. Les principales victimes et des franges importantes de la société ont rejeté catégoriquement ce traitement politicien défiant la mémoire des victimes. Cette loi sera sans doute abrogée par la nouvelle Assemblée nationale dominée par le Pastef, le parti qui a le plus subi les atrocités de l’ancien pouvoir. Dans la recherche de traitement plus adéquat, la Haute Cour de Justice aura la lourde responsabilité d’initier le traitement de certains événements singulièrement, ceux ayant trait à la violence physique, morale, psychique, en général, particulièrement, les actes ayant entrainé des morts d’hommes, des tortures et des atteintes graves aux libertés individuelles. Cette approche judiciaire est précédée par l’initiative gouvernementale allant dans le sens d’assister les victimes des événements. Toutefois, les traitements judiciaires via la Haute Cour de Justice et l’Assistance par la réparation des victimes, ne seront que des traitements partiels et parcellaires.

Il faut apprendre de l’histoire des événements politiques du Sénégal. De nombreux événements se sont passés au Sénégal. Ils devraient servir d’enseignement aux nouveaux gouvernants. Le conflit entre l’ancien président de la République, Léopold Sédar Senghor et le président du Conseil, Mamadou Dia, les événements de mai 1968 et les crises successives des années 2000 restent gravées dans la mémoire collective à cause de traitements judiciaires partiels. De tels traitements ont laissé des séquelles et des remords dans les mémoires. Pour certains, l’amertume est toujours présente à travers la gorge. Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre, Ousmane Sonko ont une responsabilité historique au sujet du traitement politique le plus pertinent et judicieux des événements de 2021 à 2024. Ils ont été des acteurs privilégiés au cœur du champ politique.

Parallèlement à l’option d’assistance aux victimes et la mise en place de la Haute Cour de Justice, les deux hommes d’Etat doivent envisager un traitement politique global et sectoriel à la mesure des attentes des victimes, des Patriotes sénégalais et africains. Les Sénégalais doivent apprendre de leur passé glorieux et/ou sombre. La Constitution d’une Commission nationale composée par des experts et des acteurs politiques, de la société civile, des universitaires et des chercheurs serait chargée d’organiser la réflexion autour des événements 2021-2024 et de préparer un véritable dialogue politique constitue un impératif mémoriel. À défaut d’un traitement radical par une approche politique systémique à la hauteur de la gravité des événements et d’une volonté de dépassement collectif et individuel, les événements de 2021-2024 laisseront toujours des séquelles des blessures. Les cicatrices de la plaie sociale et démocratique béante peinent à se refermer. Il suffit d’ailleurs d’observer les comportements citoyens et d’écouter l’opinion, pour constater que les événements de 2021 et 2024 sont toujours à l’origine de confrontations politiques épisodiques entre les acteurs des événements, les victimes et les responsables de l’ancien régime de l’Apr et du Bennoo. Le pardon, la réconciliation sont peu probables tant que les causes, les douleurs de la plaie et les ressentis de l’injustice persisteront. La rancune peut faire ressurgir à tout moment de la vie politique les faiblesses congénitales des traitements partiels des événements douloureux.

MAMADOU SY ALBERT

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