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ALIOUNE NDAO, DÉPUTÉ ET ANCIEN PROCUREUR DE LA CREI «Si le ministre des Finances est mis en cause, Macky Sall ne peut pas échapper à des poursuites judiciaires»

Le rapport de la Cour des comptes sur la situation des finances publiques de 2019 au 31 mars 2024 continue de faire couler beaucoup d’encre. Ancien procureur de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), Alioune Ndao, devenu député, soutient lors de l’émission Gros Plan de TBB (Télé Bu Bax Bi), que «si l’enquête est approfondie, Macky Sall pourra être poursuivi». Le parlementaire, par ailleurs membre de la Haute Cour de justice, de marteler : «Si le ministre des Finances est mis en cause, Macky Sall ne peut pas échapper à des poursuites judiciaires».    

Par ABLAYE DIALLO                                               

Au lendemain de la publication du rapport de la Cour des comptes sur les gestions des Finances publiques pour la période 2019 à fin mars 2024, le ministre de la Justice Ousmane Diagne a assuré que tous les criminels à col blanc coupables du pillage des deniers publics que ce soient des anciens ministres, des Directeurs généraux, des comptables, des gestionnaires et d’autres particuliers « seront traduits en justice devant les juridictions compétentes », en l’occurrence la Haute Cour de Justice et le Pool Judiciaire et Financier. L’ancien procureur de l’ex-Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) affirme qu’une enquête approfondie sur les irrégularités gravissimes relevées dans le rapport de la Cour des comptes pourrait mener à la mise en cause de l’ancien Président Macky Sall. « Il y a des ministères de souveraineté : Économie et Finances, Intérieur, Affaires étrangères, Défense, Justice, qui dépendent directement du Président de la République. Ces ministères ne dépendent pas du Premier ministre. Ils informent directement le Président de la République.  Un tel scandale ne peut pas se passer dans un ministère de souveraineté sans que le Président ne soit au courant », souligne le parlementaire Alioune Ndao dans l’émission Gros Plan de TBB (Télé Bu Bax Bi).

«Je demande aux responsables de parler moins et de remettre le dossier à la justice»

Le magistrat de formation appelle les autorités compétentes à mettre en branle la machine judiciaire afin que les responsabilités soient situées suite au carnage financier des derniers publics : « Si l’enquête est approfondie, Macky Sall pourra être poursuivi. Je ne peux pas affirmer d’emblée qu’il est coupable, mais si le ministre des Finances est mis en cause, Macky Sall ne peut pas échapper à des poursuites judiciaires. C’est pourquoi. Je demande aux responsables de parler moins et de remettre le dossier à la justice pour qu’une enquête sérieuse soit menée. Il faut situer les responsabilités ». Il enfonce le clou en pointant du doigt la responsabilité de l’ancien Président dans le pillage systématique de l’argent public : « Il y a suffisamment d’éléments dans ce dossier. Poursuivre Macky Sall n’est pas une affaire très compliquée. C’est un justiciable comme tous les autres citoyens sénégalais. Nicolas Sarkozy est un ancien Président de la République (jugé et condamné et actuellement sous bracelet électronique). L’actuel Président brésilien Lula, il a fait la prison. Cela n’a jamais eu lieu au Sénégal mais il le faut pour le bien de la Nation ». Avant d’ajouter : « Un Président de la République est élu par le peuple. Mais le pays n’est pas sa propriété. Un Président ne peut pas faire ce que bon lui semble. L’ancien Président avait fini de croire que le pays était devenu sa propriété personnelle. Il est bon de sonner la fin de la récréation au niveau présidentiel afin que tout homme qui sera élu à la tête du pays sache qu’il va rendre compte à la fin de ses mandats ».

«Les infractions commis par le Chef de l’État, soubassement de la haute trahison»

Le député Alioune Ndao est également revenu sur la notion qui fait tant débattre en l’occurrence « la Haute trahison ». Il a donné son entendement de concept. « La Constitution n’a pas défini la « Haute trahison ». Quand on est élu Président de la République, on met à sa disposition les fonds publics, l’Armée, les Forces de l’ordre. Il doit servir de modèle. Quand ce Président commet des infractions au même titre que le Sénégalais lamda, c’est cela la haute trahison. Il a trahi le peuple. Il a trahi le serment qu’il a fait de remplir ses fonctions avec intégrité, loyauté et dévouement. Il trahit la confiance du peuple qui l’a élu. Ce sont les infractions commises par le Chef de l’Etat qui deviennent le soubassement de la haute trahison », a expliqué l’ancien procureur. Il précise : « Quand le juge établira que l’ancien Président a commis des infractions comme faux en écriture privée, détournements de deniers publics, blanchiment d’argent, escroquerie portant sur des deniers publics, ce seront les fondements de la haute trahison ». Il a aussi dévoilé la procédure pour faire comparaître Macky Sall et ses anciens ministres accusés d’avoir détourné des centaines de milliards FCFA : « Un ancien Président, les anciens Premiers ministres, les anciens ministres ne peuvent être traduits que devant la Haute Cour de justice. La procédure commence par le vote à l’Assemblée nationale de la résolution de mise en accusation d’ anciens dignitaires. Le dossier sera remis à l’ensemble des députés. S’ils votent à la majorité, la procédure est enclenchée. Le Procureur général près de la Cour suprême va se saisir du dossier. Il va saisir le président de la Commission d’instruction de la Haute Cour de justice qui est un magistrat. Il s’agit du premier président de la Cour d’appel de Dakar ». Alioune Ndao de poursuivre : « Le dossier sera entre les mains de magistrats. Ce sont eux qui vont procéder à l’instruction et quand ils auront fini, ils vont renvoyer le dossier à la Haute Cour de justice pour le jugement. Ce sera la dernière étape de la procédure. La Commission d’instruction a le pouvoir d’inculper quelqu’un et ordonner son placement sous mandat de dépôt. Pour rappel, c’est la Commission d’instruction qui avait placé sous mandat de dépôt l’ancien Premier ministre Idrissa Seck dans le dossier des chantiers de Thiès. Il y aura un vote pour dire si l’individu incriminé est coupable ou pas. S’il est déclaré non coupable, on le laisse rentrer chez lui. Au cas où l’individu sera déclaré coupable, on va voter pour savoir quelle peine lui sera infligée ».

Les 15 milliards FCFA dans le compte personnel du Trésorier général, une irrégularité très grave

Pour Alioune Ndao, les faits rapportés par la Cour des comptes sont suffisamment graves pour justifier une enquête et des sanctions exemplaires. Il est outré par l’affaire des 15 milliards FCFA retrouvés dans le compte personnel du Trésorier général mais aussi des dépenses extrabudgétaires à l’insu de l’Assemblée nationale : « L’argent public doit passer par le Trésor. Il n’est pas normal qu’on ouvre un compte bancaire dans une banque commerciale pour y garder de l’argent public alors que le Trésor est là. C’est une irrégularité très grave. Le Trésor est garant de la sûreté de l’argent public ». Avant d’ajouter : « Procéder à des dépenses extrabudgétaires sans l’autorisation de l’Assemblée nationale, c’est extrêmement grave ».

«Le Législateur privilégie le remboursement des sommes détournées»

L’ancien procureur de la CREI a expliqué en détails la procédure à suivre pour récupérer les milliards FCFA volatilisés entre le Trésor public et le ministère des Finances ces cinq dernières années : « Si l’argent détourné est encore dans le pays, ce ne sera pas très difficile pour le récupérer. La justice peut demander des saisies conservatoires. C’est le Pool Judiciaire Financier qui est habilité à le faire. Le Pool peut demander aux banques de bloquer les comptes bancaires des présumés auteurs de détournements de deniers publics. Après jugement, si le tribunal ordonne la confiscation des biens saisis alors l’Etat récupère l’argent. Néanmoins, si l’argent détourné est planqué à l’étranger, ce sera plus compliqué pour le récupérer. Il faut une commission rogatoire internationale à envoyer dans le pays où l’argent est caché. Ce n’est pas toujours évident que la banque étrangère et les autorités du pays en question veulent collaborer ». Il fait part également de la volonté des autorités de récupérer l’argent détourné : « Quand un individu est poursuivi pour détournement de deniers publics s’il reconnaît les faits accepte de rendre l’argent en allant cautionner au niveau de la Caisse de dépôt et de consignations alors la loi permet à cette personne de bénéficier d’une liberté provisoire. Mais si la même personne est poursuivie pour faux et usage de faux, le juge peut bien le placer sous mandat de dépôt. Le Législateur privilégie le remboursement des sommes détournées ».

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