En visite officielle à Ouagadougou pour l’inauguration du mausolée de Thomas Sankara, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a accordé à la radiotélévision burkinabè (RTB) sa première interview à une télévision étrangère depuis trois ans. L’occasion pour lui de revenir sur les grands axes de sa vision politique : souveraineté, panafricanisme, réforme du franc CFA, tensions au sein de la CEDEAO, et lutte contre le terrorisme au Sahel.
À l’invitation de son homologue burkinabè, le Premier ministre Ousmane Sonko a effectué une visite à double objectif : resserrer les liens entre le Sénégal et le Burkina Faso et participer à l’inauguration du mausolée Thomas Sankara. Pour Sonko, cette figure emblématique de la révolution burkinabè est une source constante d’inspiration. « Ce n’est pas de la démagogie. Thomas Sankara nous inspire par son combat pour la souveraineté et sa rigueur dans la gestion publique », a-t-il affirmé, insistant sur la nécessité de s’inspirer des grands leaders africains tout en adaptant leurs enseignements aux réalités contemporaines.
Le Premier ministre a réitéré son attachement à une souveraineté réelle, traduite par des actes forts. Il a ainsi confirmé que le Sénégal procède actuellement au retrait des bases militaires étrangères de son territoire, une opération qui sera achevée d’ici juillet. « Nous avons une armée nationale, nous pensons pouvoir gérer nous-mêmes notre sécurité », a-t-il martelé, appelant les autres pays africains à sortir de l’attentisme et à prendre en main leur destin.
Franc CFA : pour une réforme ou une sortie maîtrisée
Interrogé sur la question monétaire, Ousmane Sonko a rappelé la position constante de son parti sur le franc CFA : la nécessité d’une monnaie souveraine, gérée par et pour les Africains. S’il reconnaît l’intérêt d’une intégration monétaire sous-régionale, il estime que le CFA, dans sa forme actuelle, reste un symbole de dépendance. « La monnaie est trop forte pour nos économies, elle favorise les importations au détriment de la production locale », a-t-il regretté. Il plaide pour des réformes profondes et une appropriation totale de la politique monétaire. À défaut d’accord dans l’UEMOA, il n’exclut pas une sortie.
Concernant la rupture entre la CEDEAO et les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), Sonko s’est dit attristé par cette séparation. « Ce n’est pas de gaieté de cœur que ces pays sont sortis. Mais des erreurs ont été commises, notamment par la CEDEAO », a-t-il analysé, rappelant ses critiques anciennes contre les sanctions imposées au Mali, au Burkina et au Niger. Il a dénoncé le « deux poids, deux mesures » de l’organisation sous-régionale, particulièrement silencieuse lors des tripatouillages constitutionnels. Toutefois, il garde espoir : « Les retrouvailles sont possibles. Les peuples continueront de coopérer. »
Médiation sénégalaise : entre neutralité et responsabilité
Revenant sur la médiation menée par le président Diomaye Faye aux côtés de son homologue togolais, Sonko a tenu à clarifier : « Le Sénégal ne prend pas parti. Il s’agit d’un rôle confié par ses pairs à un nouveau président perçu comme crédible. » Il a souligné que cette médiation se fait dans un esprit de respect des choix souverains des États de l’AES. « Ce n’est pas la fin de l’histoire », a-t-il prévenu, appelant à dépasser les clivages pour sauver l’unité régionale.
Enfin, le chef du gouvernement sénégalais a exprimé sa solidarité avec les peuples du Sahel touchés par le terrorisme, affirmant que cette menace concerne toute l’Afrique de l’Ouest. Il a salué la résilience du Burkina Faso, tout en critiquant la lenteur des initiatives de soutien régional. « La CEDEAO a été plus prompte à réagir face aux crises politiques qu’à appuyer militairement les pays en guerre contre le terrorisme. Il faut inverser cette tendance », a-t-il plaidé.
À travers cet entretien, Ousmane Sonko réaffirme sa ligne politique : rupture avec les dépendances anciennes, recentrage sur l’intérêt des peuples africains, promotion d’un panafricanisme pragmatique. Sans céder à la radicalité, il trace les contours d’une Afrique souveraine, solidaire et tournée vers l’action concrète.
KHALY SARR