Je ne peux rester silencieux face aux qualificatifs dégradants de « bandits » et de « casseurs » réservés aux victimes des violations des droits de l’homme durant les événements politiques au Sénégal entre 2021 et 2024. Une telle stigmatisation est non seulement profondément injuste, mais elle compromet également notre capacité à nous réconcilier en tant que nation. Les victimes de violences politiques méritent notre soutien indéfectible et notre respect, et il est impératif de reconnaître l’ampleur de leurs souffrances. L’engagement du gouvernement à allouer cinq milliards F CFA pour indemniser les victimes témoigne d’une volonté sincère de réparer les préjudices subis par tous les Sénégalais, quel que soit leur camp politique. Rappelons que les victimes des violences électorales de 2012 ont déjà bénéficié d’une indemnisation par une commission d’indemnisation amiable, mise en place par le ministère de la Justice en 2013.
Il est essentiel de souligner le cas de Mamadou Étudiant, mort à la place de l’Obélisque lors d’une manifestation du M23 contre le 3e mandat. Ce dossier fait partie des rares à avoir reçu une indemnisation judiciaire, tandis que d’autres dossiers déclarés éligibles ont bénéficié d’une indemnisation amiable. En tant qu’avocat du collectif des victimes des violences électorales, j’ai eu l’honneur de défendre le dossier de Mamadou Diop en première instance et en appel. Le verdict a été sans appel : les deux policiers responsables ont été condamnés, et la famille de Mamadou Diop a reçu 20.000.000 F CFA en réparation. Avec mon confrère Me Assane Dioma Ndiaye, notre engagement dans cette affaire a été déterminant pour faire respecter les droits des victimes et obtenir justice.
Cependant, il est inexact de prétendre que l’indemnisation doit nécessairement passer par la voie judiciaire. Nous avons des précédents clairs au Sénégal, comme pour les violences électorales de 2012, ainsi que pour les victimes du naufrage du bateau le Joola. Le droit international des droits de l’homme impose aux États de créer des mécanismes amiables d’indemnisation, surtout lorsque l’auteur de l’infraction est insolvable ou introuvable. Chaque infraction constitue un manquement à l’obligation de sécurité que l’État doit garantir à chaque citoyen, et il a la responsabilité d’offrir des voies de réparation adaptées. À titre d’exemple, la France dispose d’une Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) qui illustre cet engagement envers les victimes. Il s’agit d’une commission d’indemnisation qui existe en permanence et qui peut être saisie par toute personne victime d’infractions pénales.
Concernant les indemnisations annoncées pour les victimes des violences politiques au Sénégal, il est impératif que l’État prenne les rênes de ce nouvel effort d’indemnisation pour s’assurer que toutes les victimes soient traitées équitablement, sans distinction. Réduire cette question à des considérations partisanes ne fera qu’aggraver les divisions. Je suis convaincu que l’État est bien conscient des critiques qui l’entourent et qu’il s’engage à garantir la transparence et l’équité dans ce processus, en communiquant clairement sur les critères d’éligibilité et en mettant en place un mécanisme permettant à toutes les victimes d’être entendues.
Concernant la loi d’amnistie, celle-ci rend actuellement impossible toute action pénale liée à ces événements. Sa suppression imminente ouvrira la voie à l’ouverture ou à la réouverture des procédures pénales. Il est clair que le fait d’accepter une indemnisation n’empêche pas les victimes et leurs familles de poursuivre les responsables de ces violations des droits de l’homme en justice. J’appelle donc les citoyens sénégalais, par respect pour les victimes, par devoir éthique et moral, à condamner ceux qui tentent de manipuler politiquement cette situation. L’indemnisation des victimes est un acte de solidarité nationale. L’État est déterminé à réparer les injustices subies par tous les citoyens. En s’appuyant sur des voix autorisées et en plaçant la société civile, notamment les ONG de défense des droits de l’homme, au cœur de ce processus, nous pouvons garantir une véritable réconciliation.
Me ABDOULAYE TINE
Avocat et Défenseur du Collectif des
Victimes des Violences Électorales de 2012