Le Sénégal célèbre ce 14 décembre la première édition de la journée des pupilles de la nation. Une occasion pour cette structure dirigée par Fatima Mbengue de vulgariser les actions que cette entité mène en faveur des enfants, mais également de plaider pour un budget plus conséquent et un élargissement de son champ d’actions.
Yoor-Yoor Bi : La première édition de la journée des pupilles de la nation sera célébrée ce 14 décembre 2024, quelle est son importance ?
Fatima Mbengue : L’importance de cette journée est de vulgariser le statut des pupilles de la nation qu’il faut le dire est très méconnu des Sénégalais. Permettez-moi juste de faire un petit rappel du contexte dans lequel la structure a été mise en place. Elle date de 18 ans suite au naufrage du bateau le Joola, c’est après cette tragédie que le Président Abdoulaye Wade a eue l’idée de mettre en place cette structure pour venir en aide à ces familles. Dans le décret mis en place en 2006, on retrouve deux points essentiels : il s’agit de la prise en charge des fonctionnaires de l’Etat du Sénégal et par la suite les paramilitaires, les militaires, la gendarmerie, les sapeurs-pompiers. Dans ce deuxième point, nous avons tout ce qui est catastrophe naturelle quand on se réfère au bateau le Joola ou ce qui s’est passé aux îles du Saloum à Betenti.
Nous avons en charge plus de 1072 enfants, mais ces dernières années, on accueille plus en plus les enfants des militaires policiers ou de gendarmes décédés. Dans le décret, les invalides sont pris en compte, mais on ne sait pas à quel niveau d’invalidité nous devons prendre en charge leurs progénitures. Le 14 sera une occasion d’interpeller l’Etat du Sénégal pour qu’il mette un baromètre. Il est très difficile pour nous de dire, c’est à tel niveau d’invalidité que nous prenons en charge et j’imagine aussi que c’est très difficile pour l’armée de pouvoir se prendre en charge. Il n’y a que l’Etat qui puisse le faire. Cette journée sera une journée de commémoration, de solidarité de rappel parce que ces enfants que nous voulons honorer sont des enfants dont les parents ont perdu la vie pour la nation. Ils sont dans les classes d’examen ou classes intermédiaires, mais aussi les daaras. Nous avons enregistré deux dont l’office a eu en charge toute leur éducation. L’une a soutenu sa thèse en médecine, l’autre son mémoire en licence avec une note de 19. Ces deux jeunes, nous les avons pris comme modèle de réussite, mais aussi des modèles pour leurs jeunes frères pour leur dire que même si la vie a été difficile pour eux, ils ont su surmonter toutes ces difficultés. L’office a su les accompagner avec ses maigres moyens jusqu’à l’obtention de leur diplôme.
À quoi peut-on s’attendre pour cette première édition ?
Cette journée nous permettra de faire plaidoyer fort devant l’Etat du Sénégal dans ce décret, l’allocation s’arrête à 18 ans. C’est très difficile d’accompagner quelqu’un jusqu’à 18 ans et L’Etat se retire pour dire que c’est fini. Tout le monde sait que c’est à 18 ans que l’on découvre ce que c’est la vie, qu’on a besoin d’avoir des gens qui nous orientent. Nous voulons que cet âge soit repoussé à 21 ans qu’on puisse les accompagner jusqu’à leurs insertions, ce qui est aussi un problème majeur pour tout le monde.
Vous nouez des partenariats avec d’autres structures étatiques, quel est l’intérêt de ces collaborations ?
Nous essayons de travailler avec les autres structures que l’Etat a mises en place pour venir en aide à ces jeunes. Nous avons des partenaires qui sont avec nous et qui, dès ma prise de fonction, m’ont soutenu et je peux citer le Port, la Lonase, le 3FPT, la DER… Ils nous aident financièrement, mais aussi recrutent ces jeunes dans leurs structures. Il est vrai que l’Etat nous demande d’aider ces jeunes, mais ils vivent dans des familles et ces allocations permettent à ces familles de payer le loyer de prendre en charge la restauration. Nous voulons permettre à ces familles d’avoir des revenus qui leur permettront de ne pas toucher à ces allocations, nous voulons que ces allocations puissent être mises dans un compte. Ce sont des projets que nous voulons mettre en place d’ici 2025. Pourquoi pas augmenter cette allocation et revoir le décret ? En tout cas, l’année 2025 sera une année de réformes qui permettra à l’Office national des pupilles de la nation d’ouvrir le champ d’actions et de ne pas juste se limiter aux fonctionnaires de l’Etat du Sénégal. Nous sommes très souvent interpellés sur la problématique des femmes qui vivent dans la rue avec des bébés, ces enfants doivent pris en charge de même que les orphelins de l’immigration clandestine. Nous verrons comment cadrer tout cela, travailler avec les gens dont l’expertise est reconnue. Cette journée est une première édition et nous voulons que le président de la République puisse l’intégrer dans son agenda.
Vous voulez élargir votre champ d’action, est ce que le budget alloué à l’Office pourra répondre à tous vos besoins ?
Le budget ne le permet pas, depuis que je suis là, il faut dire que les pupilles ont augmenté. Il faut reconnaître qu’il y avait un déficit de communication de la structure, un manque de visibilité aussi et les personnes concernées ne savaient pas qu’une structure était mise en place. Dès ma prise de fonction, j’ai fait un peu le tour du pays, je me suis rendue dans les IEF, les IA, au Parc de Niokolo Koba pour voir les agents qui s’y trouvent. Le constat était que tout le monde me disait que c’est la première fois qu’une structure de l’Etat vienne nous rencontrer et qu’on ne savait pas qu’une structure était là pour nous. Quand je suis allée au Parc, on m’a dit qu’en cinq ans, ils ont perdu beaucoup d’hommes et qu’ils n’ont jamais su que leurs enfants devaient être pris en charge. Je leur ai dit qu’il fallait commencer à faire des enrôlements. J’ai été à Fatick où je tombe sur le décès d’un enseignant qui fait une crise dans sa classe et l’inspecteur me dit qu’il ignore l’existence de cette structure pour vous dire le déficit de visibilité. C’est vrai que la structure a été créée à cause du bateau le Joola, mais ce drame est derrière nous, ces enfants sont majeurs. Et la plupart des enfants que nous avons en charge actuellement nous viennent des forces de sécurité. La communication doit plus viser pour que cette cible puisse savoir qu’il y a une structure de l’Etat qui existe et que sa mission est de prendre en charge les enfants dont les parents sont décédés en mission pour l’Etat du Sénégal.
Le budget est vraiment minime. Les décrets n’arrêtent pas de tomber et le budget ne bouge pas. C’est la raison pour laquelle j’ai lié beaucoup de partenariat avec les sociétés sénégalaises qu’elles soient privées ou publiques pour qu’elles puissent au moins venir en aide parce qu’un enfant a besoin de beaucoup de choses.
Comment se passe la prise en charge pour les récipiendaires ?
C’est une allocation tous les trois mois, l’Etat du Sénégal aussi a facilité les choses pour l’obtention des papiers administratifs et la gratuité des inscriptions dans l’école publique. Chaque enfant a un décret avec une numérisation, nous voulons octroyer à chaque pupille une carte qui lui permettra d’accéder aux services sociaux, aux soins, à la gratuité des transports, on est en train d’y travailler avec Dakar Dem Dikk pour faciliter le transport de ces jeunes. Nous allons vers leurs familles avec souvent des visites à domicile où on se rend dans les écoles pour voir si l’enfant est bien intégré, s’il n’a pas de soucis dans son établissement et voir aussi si l’environnement familial est propice. Nous ne le souhaitons pas, mais quand un enfant à maille à partir avec la justice ou qu’il lui arrive quelque chose, notre responsabilité est engagée directement. Il faut prendre toutes les dispositions pour que cette personne, qui a eu à servir toute sa vie l’Etat du Sénégal, puisse dire que s’il lui arrive quelque chose, sa famille sera à l’abri.
Comment se passe le suivi, est ce qu’il y a une décentralisation des services ?
Nous sommes sous la tutelle du ministère de la Famille et elle a dans tous les départements des représentants, des relais un peu partout parce que souvent, nous avons des problèmes de langues, mais aussi, nous travaillons avec les IA, IEF, des gens qui sont dans la communauté et nous aide à avoir des informations… Ce sont les IA et IEF qui nous remontent les notes pour savoir si tel enfant a bien travaillé. Des gens peuvent nous faire la situation de certaines familles dans leurs localités d’origine avant qu’on ne se déplace.
À votre prise de fonction le député Guy Marius Sagna, vous avez soumis les cas des enfants de Fulbert Sambou et Didier Badji, est ce qu’ils sont pris en compte par l’office ?
Pour le moment, nous attendons un décret présidentiel et nous savons qu’il est dans les dispositions de le faire, il y a des procédures à respecter. Beaucoup de personnes nous interpellent, nous leur demandons les dossiers qu’ils doivent mettre en place à savoir le certificat de genre de mort, les extraits de naissances que nous remontons au niveau du ministère de la Justice qui fait les procédures et qui envoie à la présidence, mais connaissant le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre, ces questions seront bien élucidées et ces familles seront prises en charge.
Quelle est la situation de l’office nationale des pupilles de la nation ?
Je pense qu’on est en train de mettre en œuvre beaucoup de choses en commençant par pallier au manque de communication. De plus en plus, l’office est présente sur les réseaux sociaux et sur les médias, nous voulons aussi changer carrément la structuration interne. Un enfant ce n’est pas juste une prise en charge financière, mais il y a aussi le suivi psychosocial, nous allons mettre sur pied une structure où il y aura des psychologues qui viendront une fois par semaine. Nous allons prendre aussi des gens qui s’y connaissent dans l’entrepreneuriat, dans la mise en place d’un GIE, dans la formation. Ce sont beaucoup d’innovation que nous allons apporter au sein de l’office national des pupilles de la nation. L’année 2025 sera pour nous une année d’innovation de plaidoyer, de communication pour rendre les gens plus sensibles qu’ils puissent venir prendre part à cette cause noble que l’Etat du Sénégal nous a confié. L’office a plusieurs défis à relever et je pense que nous sommes sur la bonne voie.
Avec l’arrivée du nouveau régime, beaucoup de directions se sont plaintes de manquements dans la gestion antérieure. Est-ce que c’est le cas avec vous ?
Nous sommes une structure sociale et nos fonds viennent directement du Trésor public. Chaque directeur a sa vision et ses ambitions de là où il veut amener sa structure. Ce que nous avons entre les mains est l’un des pans les plus importants de la société. Nous avons en charge l’avenir de la Nation et il y a des valeurs que nous devons inculquer à ces enfants déjà l’amour de la patrie. Quand un de leurs parents perd la vie qu’ils puissent sentir automatiquement à leur côté l’Etat du Sénégal, qu’ils grandissent en disant que l’Etat a été là. Ce devoir de redevabilité envers la nation s’installe automatiquement.
Vous avez opté pour le thème : « Le statut de pupille de la nation entre devoir de mémoire et action salutaire au service de l’enfance », pourquoi ce choix ?
Dans ce thème, il y a trois mots-clés : le devoir, la solidarité et le rappel à la mémoire. Une nation ne se bâtit pas sur le néant, elle devient forte suite à son passé, à ce qu’elle a vécu, c’est la mémoire. Cela nous permet de savoir d’où l’on vient et où l’on veut aller. La solidarité est une valeur qui a tendance à disparaître quand on voit ce qui se passe autour de nous. Au-delà du devoir de mémoire, de la solidarité, nous espérons que ceux que l’Etat projette de faire pour eux sera ancré dans leur tête et ils diront un jour que l’Etat du Sénégal, à un moment T, a été présent dans ma vie. Ce sont des petits moments qui restent dans l’esprit des enfants et qui leur permettent de voir la nation autrement.
PROPOS RECUEILLIS PAR HABIBATOU TRAORÉ