Économiste et enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), Meissa Babou a analysé pour votre quotidien Yoor-Yoor Bi le budget général du Sénégal pour l’année 2025. Dans cet entretien, l’universitaire émérite soutient que «la Vision Sénégal 2050 ne peut pas démarrer en trombe tellement l’héritage de l’ancien régime est catastrophique et lourd». Tout de même, il salue «l’augmentation des recettes fiscales» et assure que «c’est possible de ramener le déficit budgétaire à 3% en 2027 sous certaines conditions».
Yoor-Yoor Bi : Le budget général du Sénégal pour 2025 est de 6395 milliards FCFA avec une réduction de 8,86% des fonds alloués aux institutions. Quelle est votre appréciation ?
MEISSA BABOU : La première chose à observer, c’est le rationalisme budgétaire. Je crois qu’une baisse des dépenses publiques par rapport aux institutions de presque 9%, c’est à saluer. Au-delà des chambres qui ont été supprimées à savoir le HCCT (Haut Conseil des Collectivités Territoriales) et CESE (Conseil économique, social et environnemental), il faut aussi noter qu’il y a moins de ministres. Il faut aussi noter que les ministres voyagent beaucoup moins que leurs prédécesseurs. Au vu de cette rationalisation que tous les démembrements de l’Etat sont en train de vivre, c’est une marque de responsabilité mais aussi de bonne gouvernance qu’on ne peut que saluer.
Parmi les grandes priorités du Gouvernement, il y a la Formation professionnelle et l’Agriculture. En fait, ce sont 1377 milliards de F CFA qui sont alloués à la Formation professionnelle et 1070 milliards dédiés à la souveraineté alimentaire et énergétique. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Le niveau de financement de l’Agriculture est une ambition. Malgré toutes les difficultés que le Sénégal est en train de vivre actuellement, je crois que le Projet Pastef veut montrer la voie du Souverainisme qui est un concept central de la politique du Président Bassirou Diomaye Faye. Donc, ose espérer une augmentation des surfaces cultivables et à emblaver et d’autre part une mécanisation. Il faut toute une modernisation du système agricole pour arriver à engranger quelques points dans cette recherche de souveraineté. Ce qui, bien sûr, aura des conséquences sur notre balance commerciale. Dans cette politique agricole, il faut aussi remarquer l’ambition de mettre en place des chambres froides dans plusieurs départements. Ce qui nous fera gagner presque 25% par rapport aux pertes passées dans les cultures horticoles. Je crois que c’est un faisceau d’actions qui sont imprimées dans ce financement assez élevé. C’est vraiment une grande ambition.
En ce qui concerne la Formation professionnelle, je crois qu’à écouter le Premier ministre Ousmane Sonko lorsqu’on lançait le Référentiel, il était revenu pour dire qu’il y a un maillage entre les différentes politiques. Nous ne pouvons pas avoir l’ambition de ce souverainisme-là, de bien travailler pour accroître le taux de croissance si on n’a pas un capital humain fort et bien formé dans ce qui nous intéresse. Puisque nous avons la chance d’avoir une population constituée à plus de 70% de jeunes, la Formation professionnelle doit être au cœur du Projet pour un pays qui cherche son développement. C’est ce lien-là qu’il faudra entrevoir entre les Pôles de développement économique et la Formation professionnelle tous azimuts pour que, quel que soit le Pôle, on ait des jeunes formés capables de faire le travail. C’est tout cela qui fera ce qu’on appelle un développement endogène. C’est extrêmement important. A mon avis, c’est une très bonne vision que de mettre un financement assez lourd dans ce segment de la Formation professionnelle.
Dans les derniers chiffres de l’ANSD, sur plus de 10 millions de Sénégalais en âge de travailler, il n’y a que 11% qui ont bénéficié d’une formation professionnelle. Est-ce que les 1377 milliards FCFA alloués à la Formation professionnelle sont vraiment suffisants ?
On ne pourra jamais tout faire en même temps. C’est déjà salutaire d’avoir autant de financements pour ce secteur. La Formation professionnelle ne coûte pas chère. Ce sont souvent des formations de courte durée de 6 à 9 mois. Chez les femmes, cela peut se faire parfois en 45 jours etc. Chaque budget de chaque année donnera ce qu’il pourra. C’est de fil en aiguille qu’on arrivera à engager le maximum de Sénégalais dans ces formations professionnelles. Ce sera un accompagnement. Le plus important surtout sera d’identifier les besoins du marché de l’emploi. Souvent, il s’agit que de capaciter les gens. Il ne s’agira pas forcément de construire de nouvelles salles de classe et d’embaucher de nouveaux enseignants. Il s’agira de courtes formations. Pourquoi pas avec des bourses pour les apprenants afin de les motiver et les encourager ? Mon problème, c’est la dispersion des différentes structures chargées de financer et d’accompagner les jeunes. Il y a au moins deux structures de formation. Ces formations doivent faire face aux financements de la DER/FJ (Délégation générale à l’Entreprenariat Rapide des Femmes et des Jeunes) et FONGIP (Fonds de garantie des investissements prioritaires) et du FONSIS (Fonds souverain d’investissements stratégiques du Sénégal). Par le passé, on a formé tellement de jeunes mais après il n’y a eu aucune suite. Donc, le plus important, ce n’est pas seulement de sortir de l’argent pour aller faire des formations. Mais, les formations doivent être ciblées par rapport aux besoins des Pôles de développement économiques. Il faut un maillage parce que beaucoup de jeunes peuvent être financés. Je souhaite une mutualisation qui va permettre au-delà de ce que le budget-là a dégagé. La DER et le FOSIS sont autonomes. Ce sont des structures capables d’aller chercher pour faire de la formation-emploi. Et les jeunes vont rembourser quand ils vont commencer à travailler. Ils peuvent être dans des projets de jardinage, de boulangerie entre autres. Il y a des leviers qu’on doit mutualiser pour permettre d’aller très vite. Il y a de nombreux Sénégalais qui attendent d’être formés.
Le Gouvernement table sur une croissance de 8,82% pour 2025 avec une augmentation des recettes à hauteur de 20%. Avec l’exploitation du gaz et du pétrole, pourrait-on atteindre ce taux de croissance pour l’année prochaine ?
Je m’attendais à beaucoup plus entre 9 et 10%. Parce qu’en fait, nous avons une tradition de croissance en moyenne de 6 à 7% sans l’exploitation du pétrole ni du gaz. Si nous avons ces ressources-là, par rapport aux dernières nouvelles ces gisements se sont révélés extrêmement porteurs et que l’exploitation est dans une bonne dynamique, je m’attendais effectivement à un niveau de croissance qui nous projetterait à 10%. Peut-être que les gouvernants ont fait ces calculs avec toute la prudence du monde. La Vision Sénégal 2050 démarre timidement avec cet endettement sous Macky Sall qui continue de nous tuer. Je crois qu’il y a quelque part à détecter un ralentissement économique qui nous empêche au moins d’atteindre 9% de croissance. Donc, un taux de croissance de 8,82%, c’est parfaitement faisable. Au niveau de notre dimension économique actuelle, si les investissements publics reviennent en 2025, on peut effectivement aller vers un taux de croissance de près de 9%.
Le déficit budgétaire pour 2025 est de 7,08% du PIB. Le Gouvernement compte le réduire à 3% à l’horizon 2027. Est-ce réaliste vu les 24.000 milliards FCFA de dette extérieure à payer ?
Le déficit est passé de 10% à 7%. Le Gouvernement a fait un effort pour le réduire de moins 3 points. Avec beaucoup de prudence, il est arrivé à cette prouesse. Vous ne pouvez pas allier un service de la dette qui est presque de 3000 milliards FCFA et vouloir faire des investissements de 3000 milliards FCFA. Vous n’avez pas encore sorti les charges de fonctionnement de l’Etat qui peuvent se situer en 3000 et 4000 milliards FCFA. Cet arbitrage qu’ils ont fait au niveau des Finances publiques pour gérer ces dimensions un peu contradictoires, c’est à saluer. Je crois que l’emprunt de cette année ne dépassera pas 1500 milliards FCFA contre le triple à chaque fois du temps de l’ancien régime. Ce qui est très positif, c’est l’augmentation des recettes fiscales. Une nette amélioration. Même 2025, le Gouvernement fera encore mieux même si on l’a tablée sur 4800 milliards FCFA. On peut espérer mieux. Parce que les redevances par rapport aux négociations sur l’or, le zircon, les mines, les cimenteries, ce sont choses qui devaient nous projeter vers des recettes fiscales et parafiscales de 4000 à 6000 milliards FCFA. Le temps de corriger cela, ils ont réussi un excellent exercice. D’une part de démarrer des investissements majeurs dans l’Agriculture et la Formation profession et d’autres investissements plus structurants ; d’autre part de faire face à un service de la dette de près de 2900 milliards FCFA et de parvenir à réduire le déficit de moins 3%. C’est extraordinaire. Je salue cette intelligence qui a conduit à ce résultat-là.
Sur les 05 prochaines années, le Sénégal doit payer 11.000 milliards FCFA. Nous devrons payer chaque année au moins 2500 milliards jusqu’en 2029. Nous devons aussi faire face à notre ambition de développement. Il faut que les gens comprennent que la Vision Sénégal 2050 ne peut pas démarrer en trombe tellement l’héritage de l’ancien régime est catastrophique et lourd. C’est un héritable terrible. C’est possible de ramener le déficit budgétaire à 3% en 3 ans si chaque année, on réduit le déficit de 3 points comme on l’a fait cette année. En 2027, c’est possible. A ce moment-là, on sera dans les normes jusqu’en 2029. Sauf si le service de la dette devient si lourd que le Gouvernement est obligé d’aller encore sur le marché financier pour lever des fonds pour rembourser. Cela pourrait ralentir cette équation du déficit budgétaire.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR
ABLAYE DIALLO