Economie GRAND ENTRETIEN

Mor Gassama, économiste et enseignant à l’UCAD, sur la DPG

«La décision du Gouvernement d’augmenter les capacités

de financement du secteur privé mérite d’être applaudie»

Vendredi 27 décembre 2024, le Premier ministre Ousmane Sonko a décliné la feuille de route du Gouvernement à l’Assemblée nationale, en soulignant qu’aucun bailleur n’a tourné le dos au Sénégal et que le pays est dans cette perspective de politique d’endettement prudent et méthodiquement. L’économiste Mor Gassama a décortiqué les aspects économiques du discours du Chef du Gouvernement. Dans cet entretien, l’Universitaire a vivement salué «la décision du Gouvernement d’augmenter les capacités de financement du secteur privé». Car, à ses yeux, une telle décision «mérite d’être applaudie» pour plusieurs raisons.

Lors de sa Déclaration de politique générale (DPG), le Premier ministre a rappelé que le Sénégal est resté enfermé, après 64 ans d’indépendance, dans le modèle économique colonial, exportant ses matières premières (or, poisson, arachide, phosphate, zircon), avec peu de valeur ajoutée, et important les produits finis tout en soulignant l’énorme déficit de la balance commerciale de l’ordre de 3.300 milliards en 2023 soit 17% du PIB. Le chef du Gouvernement va-t-il arriver à relancer l’économie au bord du gouffre ?

En tout cas, c’est l’objectif qui est visé. Je pense que les moyens vont être déployés dans tous les secteurs afin d’atteindre les résultats attendus. Si l’environnement économique national comme international reste favorable, il y a de très fortes chances qu’il y ait une évolution significative de notre économie. Il y a des perturbations, on reste un peu dans le flou. Ce que le Premier ministre a dit en ce qui concerne notre modèle économique depuis l’indépendance, c’est la vérité. Parce qu’on n’a jamais privilégié l’industrialisation. Au début, il y avait même quelques industries qui étaient encore là. Mais avec le temps et la signature des ACP et des APE avec l’Union européenne, on a ouvert nos frontières. La concurrence déloyale a fait que nos industries ont disparu ou presque. Si vous voulez booster votre production alors que vous avez une industrie embryonnaire, il vous sera difficile d’exporter. C’est pourquoi a privilégié les importations et non les exportations. Les importations arrangent ceux qui sont de l’autre côté. Ce sont eux qui produisent. Dans une relation où il y a un producteur et un acheteur, c’est le producteur qui fait profit. C’est la production qui crée de la valeur. C’est un constat que personne ne peut contester. Soixante ans après les indépendances, on ne peut pas dépendre en très grande partie de ce que nous consommons nous vient de l’extérieur. Maintenant, il faudrait renverser la tendance. Cela passe forcément par une industrialisation et une production de biens avec une valeur ajoutée.

Le Premier ministre est également revenu sur la suspension des financements attendus en 2024 du FMI et de la Banque Mondiale et le gel du programme économique et financier appuyé par le FMI. Est-ce que cela ne va pas poser problème ?

Il y a cinq mois de cela, c’est le Gouvernement lui-même qui l’avait annoncé. Il avait demandé au FMI de surseoir le financement en attendant d’y voir plus clair dans les comptes publics de l’Etat. On a lancé des audits et constaté beaucoup d’irrégularités. Le ministre des Finances avait rencontré les bailleurs pour leur expliquer la situation pour un report. C’est le Sénégal qui est initiateur de cela. C’est ce qui montre que le Gouvernement a pris les devants. En faisant cela, on prend aussi des dispositions pour essayer de trouver des mesures alternatives.

Le Premier ministre a également déclaré que pour que le Sénégal s’extirpe du lot des pays-sous-développés, cela implique de tripler le revenu par habitant pour rejoindre la catégorie supérieure des pays à revenu intermédiaire.  Il faudrait un taux de croissance annuel de 6,5 % sur 25 ans. Est-ce réalisable ?

On est déjà sur la voie. Il y a ce qu’on appelle la borne supérieure et la borne inférieure. Pour être un pays à revenu intermédiaire, il faut avoir un PNB par habitant qui varie entre 916 dollars et 11.115 dollars alors par habitant. Le Sénégal est sur la borne inférieure. L’objectif, c’est se diriger vers le milieu à défaut à l’autre extrême. Ce qui n’est pas facile. Cela passe par une souveraineté économique et surtout alimentaire. Il ne faut pas oublier qu’une bonne partie de nos recettes est utilisée pour les importations alimentaires. Rien que pour les 10 produits alimentaires les plus utilisés, cela nous coûte environ 1000 milliards FCFA. Ce qui est colossal. Alors qu’on a la possibilité de produire dans notre pays une bonne partie de ce que nous consommons. Il faut se fixer des objectifs et les évaluer chaque année pour voir la progression. Il faut trouver les moyens d’atteindre les objectifs. Il faudra faire une évaluation pour voir si nous sommes dans les dispositions de les atteindre ou pas et voir par la suite comment apporter des mesures correctives afin de rester dans les délais.

Le taux de pression fiscale d’un peu moins de 18 %, en deçà donc du ratio de 20 % fixé par le critère de convergence de l’UEMOA en plus de 18 conventions bilatérales signées par le Sénégal avec les firmes internationales. Qu’est-ce qu’il faut être dans les critères de convergence ?

L’Etat du Sénégal a l’habitude d’accorder des exonérations à certaines entreprises. En plus de cela, quand on veut baisser certains prix, l’Etat fait le choix de renoncer à certaines taxes. Ainsi, on diminue le taux de pression fiscale. C’est ce qui explique cela. Ces conventions devraient pousser les autorités à redoubler de vigilance parce qu’ en tant que contribuable, on est censé payer ses impôts. Certaines entreprises sont disposées à utiliser des micmacs pour ne pas honorer leurs engagements. Ce qui est un chose déplorable. Mais, dans tous les pays du monde, les Etats mobilisent des ressources capables de lutter contre la fraude fiscale. Il faut redoubler de vigilance pour éviter les pertes de ces recettes fiscales qui devaient revenir à l’Etat du Sénégal pour améliorer le bien-être des citoyens. Il y a un problème de transparence qui se pose dans l’exploitation des ressources minières qu’il faut régler. Souvent dans les industries extractives, l’investissement de départ est très lourd. C’est ce qui fait que l’Etat ne récolte que des miettes. Mais, avec le temps, lorsque les capacités productives augmentent, la part de l’Etat aussi augmente. Dans certains contrats, on peut estimer que les intérêts du Sénégal n’ont pas été défendus et on peut penser à renégociation. C’est le cas avec beaucoup de contrats pétroliers et gaziers où l’Etat du Sénégal a mis en place une Commission pour une renégociation. Cela fait partie des actes posés pour une bonne gouvernance.

Le Premier ministre a annoncé que le Gouvernement compte notablement augmenter les capacités de financement au profit du secteur privé, en renforçant leurs fonds propres. Qu’est-ce que vous en pensez ?

C’est une décision qui mérite d’être applaudie. Parce que vous ne pouvez pas prétendre au développement sans avoir un secteur privé fort. Vous ne pouvez pas prétendre à la création d’emplois sans qu’il y ait un secteur privé fort. Même cette Souveraineté économique et alimentaire qu’on est en train de théoriser, c’est le secteur privé qui est le principal acteur et non l’Etat. Toute mesure allant dans le sens de renforcer les capacités du secteur privé tend vraiment à améliorer le bien-être de la population et a une répercussion positive sur l’économie globale. La seule chose qui peut empêcher ce Gouvernement d’atteindre ses objectifs, c’est le manque de moyens. Si les moyens et la volonté politique suivent, on peut rester optimistes.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR

ABLAYE DIALLO

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