Sidy Alpha Ndiaye expose la vision de Diomaye Faye pour rééquilibrer les pouvoirs, renforcer le rôle du Premier ministre et redonner du souffle à l’Assemblée nationale »
Le dimanche 18 mai 2025, dans l’émission Point de Vue sur la RTS, le professeur Sidy Alpha Ndiaye, ministre-conseiller juridique et directeur de cabinet adjoint du président de la République, a exposé les lignes directrices d’une réforme institutionnelle majeure, promise par le président Bassirou Diomaye Faye. Cette intervention, dense et stratégique, marque une étape décisive dans la refondation de l’État sénégalais, avec un triple objectif : rééquilibrer les pouvoirs, garantir l’indépendance de la justice et redéfinir les mécanismes de gouvernance. En mai 2024, les Assises de la justice avaient posé les jalons d’un diagnostic sans complaisance de l’appareil judiciaire. Un an plus tard, le pouvoir exécutif a entamé la mise en œuvre de ses recommandations, sous l’égide d’un comité technique créé par décret présidentiel en décembre 2024.
Vers une Cour Constitutionnelle ouverte et proactive
Baptisé officieusement « comité ad-hoc », ce groupe de travail multidisciplinaire est chargé de formuler les textes fondateurs d’une réforme d’ampleur inédite. « Ce que nous faisons aujourd’hui n’est pas un simple toilettage juridique, mais une refondation structurelle », a insisté le professeur Ndiaye. Parmi les textes en cours d’élaboration : une loi visant à créer une Cour Constitutionnelle en lieu et place du Conseil Constitutionnel, de nouvelles garanties pour l’indépendance des magistrats, l’instauration de juges des libertés et de la détention, la réforme du parquet et une décentralisation du contentieux administratif. L’un des piliers de cette réforme est la transformation du Conseil Constitutionnel en Cour Constitutionnelle, une institution appelée à jouer un rôle moteur dans la régulation démocratique. Cette nouvelle cour romprait avec le schéma actuel, jugé trop fermé, pour devenir un organe pluraliste, capable d’agir en toute autonomie. « Elle intégrera des professeurs de droit, des avocats, des représentants de la société civile et des inspecteurs généraux d’État », a déclaré Sidy Alpha Ndiaye. Innovation notable : la possibilité pour la future Cour Constitutionnelle de s’auto-saisir. Une rupture profonde avec la tradition sénégalaise, qui confinerait cette institution dans une posture passive même face à des violations flagrantes des droits fondamentaux. En adoptant ce modèle, inspiré du Conseil constitutionnel sud-africain ou du Bundesverfassungsgericht allemand, le Sénégal moderniserait profondément ses garanties institutionnelles.
Désamorcer l’hyper-présidentialisme et cohabitation comme stress-test démocratique
Depuis la crise de décembre 1962, le régime sénégalais est marqué par une concentration excessive des pouvoirs entre les mains du chef de l’État. Cette dérive hyper-présidentialiste est aujourd’hui remise en question. Le professeur Ndiaye a souligné l’impératif historique de réhabiliter les autres institutions. « Une démocratie mature repose sur une articulation équilibrée entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire. » Ainsi, la réforme vise à renforcer les compétences du Premier ministre, en lui permettant notamment de présider le Conseil des ministres en cas d’absence du président et de co-définir la politique nationale en période de cohabitation. La revalorisation du rôle de l’Assemblée nationale est aussi prévue, avec un meilleur contrôle de l’action gouvernementale et un accès plus large à l’initiative législative. Dans une perspective d’alternance ou de cohabitation, le Sénégal doit disposer d’un cadre institutionnel clair. Aujourd’hui, une majorité parlementaire hostile au président de la République ne dispose d’aucun levier pour influer sur la politique nationale. Cela pose un risque de blocage institutionnel, voire de crise politique. « Il ne s’agit pas de renforcer les pouvoirs d’Ousmane Sonko en tant que Premier ministre, mais de renforcer l’institution du Premier ministre », a insisté Sidy Alpha Ndiaye. Cette clarification vise à ancrer durablement les principes d’un parlementarisme rationalisé, où la primauté du suffrage universel direct est reconnue, et où le Premier ministre peut pleinement incarner la légitimité démocratique issue des législatives.
Réforme de l’OFNAC et Conseil Supérieur de la Justice en gestation
Autre axe structurant : la moralisation de la vie publique, avec en ligne de mire la réforme de l’Office national de Lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC). Le projet de loi en cours prévoit un appel à candidatures pour désigner les membres de l’organe, rompant avec le modèle de nomination présidentielle discrétionnaire. « C’est un signal fort envoyé par le président Faye. Il veut des institutions de contrôle qui ne dépendent pas de sa volonté personnelle », a expliqué le professeur. Cette méthode, déjà appliquée à l’ARTP, pourrait devenir une norme institutionnelle, applicable au HCCT, au Conseil économique, social et environnemental, et à d’autres organes régaliens. Elle garantit non seulement la compétence, mais aussi l’indépendance des personnalités désignées. Sidy Alpha Ndiaye a confirmé que le président Faye restera membre du Conseil supérieur de la justice, nouvelle version du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Il a toutefois relativisé l’enjeu de cette présence : « Le Président ne s’invite pas dans la conscience du juge. Sa présence est formelle, elle ne change rien à l’indépendance du siège. » La grande nouveauté viendra plutôt de la pluralité de la composition : universitaires, représentants de la société civile et magistrats élus y siégeront. Le nombre de magistrats élus passerait de 7 à 14, signal fort d’une volonté d’ancrer les décisions du Conseil dans une légitimité interne élargie.
Quel processus mettre en branle pour la révision constitutionnelle ?
Deux options se présentent pour la réforme constitutionnelle : le vote des trois cinquièmes des députés ou le recours au référendum populaire. Selon Sidy Alpha Ndiaye, le choix final reviendra au président, qui décidera en fonction du contexte politique et du degré de consensus autour du projet. « Il décidera du moment opportun, mais toujours dans le respect de la légitimité démocratique », a-t-il assuré. Les réformes actuelles ne surgissent pas de nulle part. Elles s’inscrivent dans la continuité des Assises nationales de 2009, de la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI) de 2013 et des engagements programmatiques pris par Bassirou Diomaye Faye lors de la campagne présidentielle de 2024. À travers ce projet global, c’est une vision de rupture éthique, de réhabilitation des contre-pouvoirs et de construction d’une démocratie de substance qui prend forme. En engageant cette réforme ambitieuse, le président Bassirou Diomaye Faye pose les fondations d’un modèle institutionnel plus équilibré, plus transparent et plus participatif. Le projet n’est pas sans risque : il devra surmonter les résistances, convaincre au sein de la majorité, rallier des soutiens dans la société civile et affronter l’épreuve du temps. Enfin, une chose est certaine : en s’appuyant sur des principes démocratiques solides et une volonté politique affirmée, cette réforme pourrait marquer un tournant décisif dans l’histoire républicaine du Sénégal, redéfinissant les relations entre les pouvoirs, et restaurer la confiance entre l’État et les citoyens.
CHEIKH THIAM
(Stagiaire)