Editorial Politique

LES PRIORITÉS ABSOLUES DE LA TRANSFORMATION SYSTÉMIQUE

La transformation systémique est un choix d’orientation de gouvernance politique et économique en opposition aux options antérieures de conduite du développement par l’ancien régime. L’alternative survenue en mars 2024 s’est inscrite dans les dynamiques des transformations structurelles en profondeur du modèle de gouvernance et de gestion des affaires publiques. Telle est du moins l’ambition du référentiel 2050 déclinée par le Gouvernement à travers l’Agenda National de transformation qualitative du Sénégal. Après la Déclaration de Politique Générale du Premier ministre, Ousmane Sonko, la feuille de route du gouvernement bien ficelée dans ses différents volets est en exécution. Trois étapes cruciales, précisément, le Redressement, l’Impulsion et l’Accélération, vont rythmer le processus de la transformation systémique. Chaque étape aura ses objectifs, ses contraintes et ses difficultés. L’analyse des contextes et des pesanteurs des résistances doit être une approche fondamentale de l’équipe gouvernementale.

Le Gouvernement devrait ainsi intégrer dans l’exécution de son programme annuel, voire triennal, de nombreux freins politiques, sociaux et économiques sur le chemin sinueux et complexe du changement graduel de la gouvernance. Les freins à la transformation sont de nature différente et d’ampleur sociale, culturelle et économique inégale. La résistance politique de l’ancienne gouvernance constitue un frein majeur à la volonté de changement de cap des orientations définies par le président de la République. Elle sera multiforme : latente, ouverte ou masquée au besoin. Le rejet du projet de suppression du Haut Conseil des Collectivités Territoriales et du Conseil Économique, Social et Environnemental est un indicateur de résistance manifeste à la baisse du train de vie de l’Etat. Les partisans de l’ancien régime préfèrent préserver leurs statuts et leurs privilèges. Ils s’opposeront à la reddition des comptes, à la justice indépendante et aux respect des institutions. Elle ne fait que commencer.

Dans ce sillage de la résistance au changement et aux réformes en perspective, les fonctionnaires, les travailleurs sont en général peu favorables à des remises en cause de leurs droits sociaux acquis souvent après des luttes et des grèves relativement longues. Certaines feront de la résistance à tout ce qui affectera leur tranquillité morale et sociale. Il faut toutefois distinguer les freins de la résistance politique de l’ancien régime des freins d’ordre syndical ou professionnel. Le traitement de tels freins doit être différencié et circonscrit dans des cadres différents. La résistance politique est du domaine des divergences dans les choix d’orientation. Elle ne peut être surmontée que par des modalités politiques, notamment, par la mise en oeuvre effective de loi ou de la décision politique. Le pouvoir décide, l’opposition se démarque et exprime son adversité. C’est le mode normal et naturel du fonctionnement de la démocratie par essence pluraliste et contradictoire.

Par contre, la résistance syndicale est un conflit opposant des intérêts corporatistes à l’intérêt généralement public. Par le dialogue, le gouvernement, les syndicats et le patronat peuvent et doivent trouver des mécanismes de gestion des revendications et des solutions à court, moyen et long terme. Le contexte actuel marqué par un regain de tensions sociales et syndicales dessine à son horizon proche des conflits entre le gouvernement et certaines centrales. Le respect des engagements pris par l’ancien gouvernement, l’amélioration du pouvoir d’achat et la révision du statut de certaines catégories socio professionnelles, seront au centre des préoccupations des organisations syndicales. Il reviendra au gouvernement de mener le dialogue social et de trouver des solutions garantissant la paix sociale. Les syndicats sont des partenaires objectifs de l’Etat. Ils ont d’ailleurs une fonction majeure dans le processus de transformation de gouvernance de l’Etat et de l’Entreprise publique et privée.

Évidemment, il ne faut exclure des attitudes syndicales hostiles au changement alternatif. Certains syndicalistes sont encore attachés à des privilèges indus conquis sous l’ancien régime par la corruption, la manipulation des travailleurs et le détournement des objectifs à des profits personnels. Cette catégorie de dirigeants peut mobiliser les travailleurs contre le pouvoir et ses dirigeants. De nombreux dirigeants syndicalistes ont d’ailleurs deux casquettes syndicalistes et politiques. Certains sont des alliés de la résistance de l’ancien régime. Il faudra tenir compte de cette complicité entre la vieille garde syndicaliste et les anciens gouvernants dans la gestion des conflits avec la bureaucratie syndicale sclérosée mais douée en matière de gestion de ses intérêts et de son pouvoir d’influence et de nuisance.

Les problèmes sociaux et culturels nationaux constituent d’autres freins majeurs à la transformation de la gouvernance politique et économique. Ils sont différents des freins de la résistance politique et syndicale. Les Sénégalais vivent depuis des années un cycle infernal de vie. L’emploi des jeunes diplômés ou non formés, l’accès aux services de base, à savoir, à l’éducation, à la santé, à l’eau, à l’électricité sans oublier du reste le logement et à une vie sociale décente, sont encore le lot de l’écrasante majorité de la population rurale et urbaine. Ces problèmes représentent des freins structurels de la société sénégalaise. Le Gouvernement doit impérativement gérer l’ampleur de ses blocages et trouver des réponses stratégiques à la transformation des freins sociaux, culturels et économiques.

Les grands projets de transformation de l’Etat devraient prendre en charge les préoccupations de la population en général, singulièrement, la demande sociale des jeunes en âge de travailler et les citoyens les plus démunis en souffrance. Les grands travaux de l’Etat sont indispensables pour contenir les effets sociaux massifs de ces freins sur le fonctionnement de la société et la gouvernance. Les impacts de cette demande sont quasi-imprévisibles. Un observatoire serait peut-être un outil organisationnel utile, de veille et d’alerte pour prévenir, alerter et anticiper. La pression de cette forte demande nationale peut influencer positivement négativement sur l’exercice du pouvoir pendant le mandat présidentiel si le gouvernement ne relève pas les défis dans deux ans et demi.

Les secteurs des BTP, les secteurs routiers, agricoles, agro-industriels, le tourisme, l’artisanat, la culture et la transformation des ressources nationales au Sénégal, constituent des priorités absolues. Un plan national pourrait servir de file conducteur à l’action gouvernementale. Les freins à la transformation systémique ne sont point insurmontables. Il faut savoir les identifier, les étudier et déployer des stratégies multi sectorielles en fonction de la nature des freins et de leurs impacts négatifs et/ou positifs sur le changement de gouvernance. La transformation systémique devra apprendre à s’adapter, à se réajuster et à se remettre constamment en question par le bilan-évaluation, le suivi et la rectification. La transformation systémique ne sera point linéaire.

MAMADOU SY ALBERT

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