Editorial

LES ERREMENTS DE LA NOUVELLE OPPOSITION

La victoire de la Coalition « Diomaye Président » à la présidentielle 2024 traduit une profonde mutation du champ politique en consacrant la fin de la bipolarisation du jeu politique au Sénégal longtemps focalisée sur les rivalités opposant les socialistes aux démocrates libéraux. En effet, tout au long du règne du Parti socialiste (PS), près de quarante ans, le Parti démocratique sénégalais (PDS) aura été le principal parti de l’opposition légale aux élections présidentielles, législatives et municipales. L’arrivée des démocratiques au pouvoir en 2000 a modifié ce rapport de forces classique. Toutefois, en dépit de son ancrage dans la mouvance de l’opposition au pouvoir libéral, le PS ne réussira pas à se transformer en un moteur et chef de file de l’opposition comparativement à l’influence du PDS et de son leader historique, Me Abdoulaye Wade. Le PS défait en 2000 traversera une période marquée par un affaiblissement de son influence politique et de son poids électoral. Douze ans après sa défaite historique en 2000, le PS restera sous l’influence du jeu des coalitions électorales. La bipolarisation entre socialistes et libéraux prendra fin progressivement avec l’irruption organique des grandes coalitions. On observe un scénario quasi-identique pour l’après-exercice du pouvoir du PDS. Le PS et le PDS n’ont point réussi l’épreuve de l’opposition menant au retour au sommet de l’Etat. L’ère des coalitions Sopi, Bennoo Siggil Senegaal, plus tard les séquences de Bennoo Bokk Yaakaar (BBY) et de Diomaye Président marquent ainsi les 25 ans des alternances de 2000 à 2024 conduites par les coalitions hétéroclites.

L’arrivée du Pastef au pouvoir en 2024 sanctionne, à la fois, la fin de la guerre fratricide entre les deux grandes familles historiques socialiste, libérale, incarnant l’ancienne système de gouvernance et le début d’un nouveau processus de recomposition du paysage et du jeu des alliances politiques. Le Pastef est devenu la principale force politique et imprime son leadership à la majorité présidentielle patriotique et au jeu politique national. Dans ce contexte de mutations politiques et électorales rythmé par l’hégémonie du Pastef et la fin de la bipolarisation socialo-libérale, une nouvelle opposition au pouvoir des patriotes et alliés se dessine à l’horizon 2050. L’opposition plurielle est dans une phase de reconstruction de ses rangs. Elle se cherche une identité, une démarche et une plateforme politique. Elle est hétérogène dans son essence puisque regroupant la mouvance de BBY défaite en 2024, les anciens adversaires du pouvoir de l’ancien Président de la République, Macky Sall, divers courants et acteurs ne se réclamant pas de la mouvance présidentielle exerçant le pouvoir depuis avril 2024. La constitution effective de cette opposition aux visages multiples et aux trajectoires différentes voire contradictoires et antinomiques suscite naturellement de nombreuses interrogations au sujet de la pertinence d’un tel regroupement et de son avenir au cours des prochaines années. Certains errements tactiques et d’orientations politiques semblent être au cœur des difficultés d’identification des composantes de la nouvelle opposition. Les anciens adversaires du pouvoir de BBY durant deux mandats présidentiels allant de 2012 à 2024 ont par exemple du mal à convaincre quant à la pertinence de leur adversité au pouvoir patriote.

De nombreux électeurs de tels partis ont décidé de soutenir la coalition dirigée par le Pastef au détriment de partis ayant choisi de combattre leurs anciens compagnons de lutte contre l’ancien pouvoir républicain et ses alliés socialistes et libéraux. Les dernières législatives constituent un indicateur de cette sanction électorale des errements successifs des partis de l’ancienne opposition aux républicains. Taxawu Sénégal, le Pur, le PDS et divers leaders ont été sanctionnés par les électeurs en raison de leurs alliances apparemment suspectes avec l’ancien parti au pouvoir, en l’occurrence, l’Alliance pour la République (APR). À la limite, l’APR s’en sort mieux. Elle a roulé ses anciens opposants devenus par errements tactiques des alliés dans la farine électorale et a ainsi décroché in extremis un groupe parlementaire alors que le Pur et Taxawu Sénégal enregistrent un effondrement de leur représentativité parlementaire. Le PDS et la Nouvelle Responsabilité ont perdu dans les alliances électorales avec les Républicains en raison de la compromission électorale avec l’ancien parti au pouvoir. Tous les égarés ont perdu des responsables politiques et des militants désabusés par des alliances contreproductives.

Les errements politiques se lisent également à travers la critique en règle du pouvoir patriotique par des anciens adversaires du pouvoir de BBY. Les adversaires des anciens régimes républicains et libéraux sont devenus radicalement contre le Pastef avec qui ils ont partagé certaines convictions et un idéal commun pour le changement de régime. Entre les lignes de cette posture radicale contre le Pastef au pouvoir et l’alliance avec l’APR, il y a une absence de discernement notoire de la part d’acteurs qui ont pourtant partagé avec le Pastef des idéaux communs dans les dynamiques de l’opposition en général, singulièrement, dans la Coalition Yewwi Askan Wi, la principale coalition d’opposition à la mouvance présidentielle de BBY. Le rapprochement entre l’ancien parti au pouvoir et tous les prétendants appartenir à la nouvelle opposition au pouvoir patriotique est une difficulté majeure de l’opposition à la recherche de son unité. On peut comprendre que l’APR cherche l’unité de l’opposition pour défendre son bilan, sa cause. Par contre, il est difficile de comprendre que des anciens adversaires de la formation républicaine puissent se liguer contre les aspirations profondes exprimées à la présidentielle et aux législatives 2024. Le risque de perdre son identité et la confiance des électeurs aspirant au changement dans la manière de lutter et de faire la politique est énorme. Les électeurs exigent le changement, la reddition des comptes et la justice aux victimes des événements de 2021 à 2024. En s’inscrivant dans la résistance contre la gouvernance de rupture, des pans entiers de la nouvelle opposition vont perdre leurs identités politiques et leur crédibilité.

À moins que les anciens adversaires du pouvoir de BBY ne réajustent la stratégie de reconstruction des rangs de l’opposition et du paysage politique sénégalais. Dans ce sillage, il n’est point exclu l’émergence d’un pôle politique entre la majorité patriotique et l’alliance entre l’APR et ses nouveaux alliés de l’opposition. La difficulté majeure de la nouvelle opposition réside dans l’absence d’un leader et d’une formation politique capable fédérer le camp des adversaires et d’impulser des dynamiques crédibles aux yeux des électeurs et de l’opinion. Il faudra du temps et de l’énergie pour renverser la tendance hégémonique du Pastef et le rapport de forces très inégal entre le pouvoir et son opposition éclatée, perdue dans les méandres des mutations politiques et de la rupture avec la manière de faire la politique au Sénégal.

MAMADOU SY ALBERT

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