Editorial Politique

Vous avez dit «train de vie de lÉtat» !

 

Par Dr Félix Atchadé

La question du « train de vie de lÉtat » est au cœur du débat public depuis la publication des audits des comptes publics (2019-2024) par la Cour des comptes. Ce rapport met en lumière lendettement massif et la dérive des dépenses publiques sous le régime de la démission nationale de Macky Sall. Il révèle des décisions budgétaires désastreuses, marquées par un laxisme dans la gestion des ressources publiques et une préférence des intérêts privés au détriment du bien commun. Ces conclusions relancent la nécessité de repenser la gouvernance économique et la rationalisation des finances publiques. Mais derrière cette interrogation légitime se cache une problématique plus large : que signifie réellement cette expression si souvent brandie ?

Définir pour mieux comprendre

Si lon entend par « train de vie de lÉtat » lensemble des dépenses publiques, il faut immédiatement clarifier les notions. Il est essentiel de distinguer les services publics (éducation, santé, infrastructures), les biens publics (routes, éclairage, accès à leau) et ce qui relève du régalien pur (police, justice, armée). Ces derniers sont lessence même de lÉtat et ne peuvent être délégués au marché sans courir à lanarchie. À moins de vouloir transformer la société en jungle où la loi du plus fort prime, ces fonctions doivent rester sous contrôle public.

Au-delà du fonctionnement immédiat, un État est aussi un stratège qui construit son avenir. Loin dêtre un simple agent payeur, il doit investir dans les infrastructures, la formation, linnovation. Ces investissements relèvent du capital physique (routes, ponts, ports, énergie), mais aussi du capital humain (éducation, santé, formation professionnelle) et du capital institutionnel (capacité administrative, justice indépendante). Autrement dit, un État qui se prive dinvestissement sous prétexte de réduire son train de vie creuse sa propre tombe économique et sociale.

Une leçon des années daustérité

Les politiques dajustement structurel nous ont déjà démontré ce que produit le démantèlement de lÉtat sous la pression des créanciers internationaux. À force de restreindre ses marges de manœuvre et de tailler dans les dépenses publiques, on affaiblit la capacité daction publique. Résultat ? Des écoles sans enseignants, des hôpitaux sans médicaments, des routes impraticables et une justice asphyxiée par le manque de moyens. La compression budgétaire aveugle ne produit pas defficacité : elle génère la régression sociale.

Il faut donc opérer une distinction claire. Oui, il est nécessaire de lutter contre les traitements somptuaires de quelques centaines de fonctionnaires, de réduire les dépenses improductives et le gaspillage des ressources. Mais non, il ne faut pas confondre ces économies avec une réduction de la capacité daction de lÉtat. Un État affaibli est un État captif, incapable de fixer le cap du développement.

État prédateur ou État stratège ?

Ce que nous ne voulons pas, cest une kleptocratie, où une caste se partage les ressources publiques sans aucun retour pour la population. Ce que nous refusons, cest un État patrimonialisé, où les fonds publics deviennent la propriété dune élite. Mais ce que nous revendiquons, cest un État qui vit de ses recettes, qui perçoit limpôt équitablement et qui cesse dêtre une machine à produire des cadeaux fiscaux pour une minorité.

À ce sujet, il est impératif de rappeler ce que lAfrique perd par lévasion fiscale orchestrée par les multinationales et les élites locales. Chaque année, ce sont des milliards de dollars qui échappent aux caisses publiques, privant les États des moyens nécessaires pour investir dans les services de base. Ajoutons à cela leffet délétère du franc CFA, qui facilite la fuite des capitaux, la fraude fiscale et maintient nos économies sous dépendance.

Des propositions simplistes et inopérantes

Vendre un avion présidentiel nest pas une proposition très originale. Une telle mesure ne réduirait le « train de vie de lÉtat » que dune unité symbolique sans impact réel sur la structure des dépenses publiques. Cest une suggestion de banquier, raisonnée comme une simple levée sur hypothèque, sans considération pour les défis économiques globaux du pays. La vraie question est ailleurs : comment rendre lÉtat plus efficace tout en lui donnant les moyens de répondre aux aspirations de la population ?

Au Sénégal, ce nest pas la réduction aveugle des dépenses qui doit guider laction publique, mais bien leur réorientation vers des secteurs porteurs de développement. Léducation, la santé, les infrastructures productives, linnovation et lindustrialisation sont autant de domaines où les investissements doivent être renforcés pour permettre au pays de relever les défis du développement.

Le Gouvernement sénégalais est sur la bonne voie en mettant laccent sur des dépenses publiques mieux ciblées et en cherchant à rationaliser les coûts sans sacrifier les secteurs stratégiques. Loin des slogans simplistes sur la réduction du train de vie de lÉtat, la priorité doit être de construire une gouvernance plus efficace, un État capable dorienter les ressources vers des projets structurants qui bénéficient à lensemble de la population.

Des inégalités structurelles à corriger

Enfin, la question du « train de vie de lÉtat » ne peut être séparée de celle des inégalités. Un État qui se prive de recettes fiscales adéquates reporte le poids de son fonctionnement sur les classes populaires par la hausse des taxes indirectes et la privatisation des services essentiels. Résultat : les riches échappent à limpôt, tandis que les plus modestes paient le prix de la rigueur budgétaire.

Lutter contre la fracture sociale exige également que lÉtat assume pleinement son devoir de solidarité en opérant des transferts en faveur des groupes sociaux les plus vulnérables. Ces mesures ne sont pas une option, mais un impératif pour garantir une société équilibrée et prospère. Il ne sagit pas dassistanat, mais dun mécanisme de justice sociale permettant à chaque citoyen de bénéficier des fruits du développement national.

Le débat sur le « train de vie de lÉtat » ne saurait donc être réduit à une simple réduction des dépenses. Il sagit avant tout dun choix de société : voulons-nous un État qui sert lintérêt général ou un État qui se dilue sous la pression des intérêts privés ? La réponse est évidente. Nous lavons dit le 24 mars 2024 et confirmé le 17 novembre 2024 ! Vive la révolution démocratique, citoyenne et populaire.

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