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CHAVIREMENT D’UNE PIROGUE À SAINT-LOUIS Boubacar Sèye dénonce l’échec des services étatiques

Après une petite pause, c’est la reprise des voyages « macabres » vers les iles européennes. Ce mercredi, au moins 26 personnes ont perdu la vie dans les eaux du nord à Saint Louis précisément. Pour Boubacar Sèye, de l’ONG Horizon sans frontière, c’est la conséquence de l’échec des services étatiques du Sénégal dans sa politique de jeunesse.

HABIBATOU TRAORE

Les côtes sénégalaises reprennent du service. Ce mercredi, une pirogue avec plus de 300 migrants en partance pour l’Espagne a chaviré aux large de Saint-Louis. Le bilan provisoire fait au moins état de 26 décès et une vingtaine de rescapés.

UNE TRAGÉDIE DE PLUS DANS LES EAUX SÉNÉGALAISES

Selon des témoignages, l’embarcation qui a quitté Joal, il y a plus d’une semaine a dans un premier temps atteint les côtes marocaines avant de rebrousser chemin pour défaut d’essence. Un rescapé a confié à la Radio futures médias (RFM) que la barque contenait une soixantaine de femmes et une quarantaine d’enfants. Il faut aussi dire que les victimes ne sont pas exclusivement de nationalités sénégalaises. Une tragédie de plus dans les eaux sénégalaises. Ces dernières années, la grande bleue a « englouti » beaucoup de jeunes des deux sexes. Le département de Bargny a vécu en novembre 2023 une période sombre, une pirogue partie de la localité a terminé sa course à Gadaye (banlieue dakaroise). Sur les 300 candidats à bord, seulement 25 auraient été repêchés. Quelques mois avant, c’est le village des pêcheurs de Fass Boye, (Thiès) qui a perdu une soixantaine de jeunes dans les eaux. La barque qui a quitté la zone le 10 juillet avec à son bord 101 passagers, s’était retrouvée après un mois de disparition au Cap-Vert avec seulement 36 rescapés. Ce, alors que la plage de Ouakam a comptabilisé 18 pertes en vies humaines lors d’un chavirement d’une barque en juillet dernier. À ces drames, il faut ajouter les 10 embarcations restées introuvables depuis des mois avec environ 1500 personnes. Ces exemples tragiques et non-exhaustifs n’ont pas réussi à décourager les candidats qui avaient cependant observé une pause depuis quelque temps du fait des rigueurs climatiques défavorables à la navigation.

L’ALERTE NON ENTENDUE DE BOUBACAR SÈYE

Le président de l’ONG Horizon Sans Frontière pense d’ailleurs qu’il n’y a jamais eu d’accalmie. Boubacar Sèye renseigne que lors de son dernier séjour en Espagne, ce pays avait déjà commencé à sonner l’alerte par rapport à cette année en cours. « Si on ne fait pas attention, on risque d’atteindre les 100 000 entrées. En 2023, l’Espagne a recensé 56 800 entrées d’après les chiffres du ministre de l’Intérieur espagnol et les 70 % viennent du Sénégal », regrette le spécialiste de la question migratoire. Pour Boubacar Sèye, joint par « Yoor-Yoor Bi », l’intensification du phénomène est liée à plusieurs causes. Le président de l’ONG sans Frontière indexe en premier un échec des services publics. L’Etat du Sénégal a, d’après lui échoué dans la prise en charge de sa jeunesse. « On ne parle même pas du sujet, aujourd’hui, on aurait pu déclencher un deuil national au Sénégal. Moi, particulièrement, je suis entre incompréhension, colère et impuissance, nous sommes face à ce scénario ou la migration continue de dévoiler des aspects aux conséquences incalculables dans nos sociétés en situation de vulnérabilité chroniques. Les causes principales sont le désespoir et l’instinct de survie, ce pays est économiquement abîmé. Nous traversons depuis plus de deux ans, une crise politique qui a plombé toute la vie économique du pays. En faisant la typologie des profils migratoire, vous voyez des femmes, des vieillards, des jeunes, des enfants, et même des gens qui travaillent », dénonce-t-il avec un brin d’amertume.

À en croire notre interlocuteur, Dakar est la capitale la plus chère de l’Afrique et le Sénégal plus cher que certains pays européens. C’est ce qui explique à ses yeux, la destination Nicaragua. « Quand on dépense 6 000 euros (4 millions de franc CFA), on ne peut plus parler de précarités. Avec l’inflation, les gens ne s’en sortent plus, ils ne parviennent pas à vivre dignement, dans ce pays, on a tué l’espoir ». Boubacar Sèye regrette que le sujet politique prédomine dans l’espace public, alors qu’il pense que l’offre politique devrait être la prise en charge de cette jeunesse en quête d’un avenir plus digne. « L’offre politique devrait être la résilience de notre économie, la préservation de nos ressources naturelles en vue de lutter contre l’extrême pauvreté. On est en train de biaiser le débat, d’organiser des dialogues pour satisfaire les caprices personnels d’un individu. Le Sénégal renonce à sa grandeur et le pays n’avait pas besoin de ça et ne mérite pas ça. Ce qui se passe au Sénégal est gravissime, tout est paralysé, rien ne fonctionne. Nous allons vers des lendemains incertains, il faudra déblayer ces craintes au niveau de la jeunesse, de la population pour redonner de l’espoir et c’est ce qui explique ce drame-là », précise-t-il.

LA SOLUTION POUR LUTTER EFFICACEMENT CONTRE CE FLÉAU

Boubacar Sèye reste convaincu que ce fléau ne se règle pas de façon systémique. Selon le président de l’ONG Horizon sans frontière, il faut plutôt une démarche scientifique en abordant le sujet dans toute sa complexité. « Des zones comme Cayar, Bargny sont devenues des zones de départs parce que tout simplement la pêche artisanale est écrasée par la pêche industrielle et la pêche illicite non réglementée et non déclarée. Ces pêcheurs ne parviennent plus à vivre de leur métier qui au-delà est une tradition, tous ces villages sont dévastés. Les causes sont multidimensionnelles et multiformes, l’Etat aurait pu écouter les pêcheurs », préconise M. Sèye. Il informe d’ailleurs qu’il avait proposé au régime un plan stratégique pour la sécurité et la stabilité de la pêche pour une meilleure gestion des pêcheries. « Si on ne communique pas et que l’Etat du Sénégal reste dans sa posture d’autodéfense et d’autosatisfaction, c’est un dossier sur lequel on sera toujours sans solution. La seule boussole pour aller vers des perspectives de solutions durables, c’est d’orienter la lutte contre l’émigration clandestine sur la sécurité humaine, il faut déblayer toutes les contraintes liées à l’insécurité alimentaire, économique… ». Boubacar Sèye précise en outre que les causes de départs ne sont pas qu’économique, il invoque la situation sécuritaire de certains contraints de partir parce qu’ils sont persécutés, ce qui relève, dit-il, de la question des droits humains.

En ce qui concerne, les profils des candidats à l’émigration irrégulière, notre interlocuteur s’attarde sur la situation des femmes qui dit-il, étaient dans le circuit pour des raisons de regroupement familial alors qu’aujourd’hui, tous comme les hommes, les femmes partent pour des raisons économiques. « Ces femmes n’ont aucune protection suffisante en termes de droit international, donc il faut tout revoir. L’heure n’est pas à la polémique, le véritable dialogue devrait tourner autour de ce fléau. Il faut regrouper tout le monde dans une démarche scientifique pour qu’ensemble qu’on puisse faire avancer la réflexion sur le comment endiguer le fléau. Dans le programme des candidats à la présidentielle, la migration devrait être au centre de gravité, mais malheureusement, on ne comprend pas ce qui cloche dans ce pays où on a l’impression que l’essentiel est ailleurs », se désole M. Sèye.

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