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DR ABDOU AZIZ MBODJ, SPÉCIALISTE EN DROIT PUBLIC «Le Conseil constitutionnel est tenu de fixer la date de l’élection parce qu’il y a carence»

Docteur en droit public, Abdou Aziz Mbodji a décortiqué les actes posés par le Président sortant Macky Sall depuis le 3 février. Le juriste dénonce une interprétation étonnée de l’article 36-2 et soutient que le patron de l’Alliance pour la République «a sciemment saboté le processus électoral» en refusant de se conformer à la décision du Conseil constitutionnel depuis 14 jours. Pour mettre un terme à cette défiance, Dr Mbodji estime que la Haute juridiction «est tenue de fixer la date de l’élection présidentielle parce qu’il y a carence». Entretien.

Qu’est-ce qui peut se produire si toutefois Macky Sall refuse de quitter le pouvoir le 02 avril, date d’expiration de son second mandat ?

Le Conseil constitutionnel est obligé de se prononcer à partir du 2 avril. En cas de décès, c’est le Président de l’Assemblée nationale qui doit saisir le Conseil constitutionnel. En cas de démission, c’est l’autorité démissionnaire qui saisit le Conseil constitutionnel. Ici, nous sommes en fin de mandat. Donc, le Président de la République lui-même doit saisir le Conseil constitutionnel. Dans le cas contraire, tout Sénégalais peut saisir le Conseil constitutionnel pour lui faire constater la fin du mandat du Président de la République. Dans sa décision du 15 février, le Conseil a rappelé que le mandat du Président de la République ne peut pas être prorogé et se termine le 2 avril 2024. Ainsi, le Conseil constitutionnel doit constater la fin du mandat qui est une vacance. C’est inédit parce que cette situation ne s’était jamais produite dans le pays. Le Conseil devra donner la suite. Soit il constate la vacance et procède à l’installation du président de l’Assemblée nationale en application des articles 39 et 40 de la Constitution ou le Conseil s’inscrit dans la logique du dialogue et demande au Président de la République de rester en fonction.

Les tenants du pouvoir évoquent constamment l’article 36 alinéa 2 pour justifier un maintien du Président sortant à la tête du pays au-delà du 2 avril. Quelle est votre appréciation ?

L’interprétation de l’article 36 alinéa 2 est très étroite. L’alinéa 2 découle de la continuité du processus électoral parce qu’on ne peut pas le détacher de l’alinéa 1. En effet, l’alinéa 2 dit que le Président élu est installé à la suite de son élection définitive et la fin de mandat de son prédécesseur et le Président sortant reste en fonction jusqu’à l’installation de son successeur. Ceux qui évoquent l’article 36-2 pour tenter de justifier un maintien au pouvoir au-delà du 2 avril font hors sujet. Leur interprétation n’est pas conforme à la Constitution. Macky Sall a été élu le 25 mars 2012. Il avait fait la passation de pouvoir avec Abdoulaye Wade le 2 avril 2012. Nous sommes dans une République. Elle a emprunté à la Rome antique une pratique « le Roi est mort, Vive le Roi ». La République n’accepte pas la vacance du pouvoir. C’est pourquoi dans la Constitution on a prévu les scénarii dans lesquels le pouvoir pourrait être vacant. Et il est écrit en cas de décès qui doit remplacer le Président de la République. Même si le président de l’Assemblée n’est pas disponible, l’article 39 dit que c’est le premier vice-président de l’Assemblée assure l’intérim. Macky Sall va terminer son mandat le 2 avril 2024.

«On ne peut pas se servir d’une interprétation erronée de l’article 36-2 pour maintenir Macky Sall au pouvoir après la date butoir»

Nous sommes dans une démocratie. Et on ne peut pas se servir d’une interprétation erronée de l’article 36-2 pour maintenir Macky Sall au pouvoir après la date butoir. Je crois que le Conseil constitutionnel devrait par analogie élargir les cas de vacances du pouvoir. Parce que nous sommes dans une situation où le président de la République a sciemment saboté le processus électoral. C’est un changement anticonstitutionnel du gouvernement conformément à la Charte africaine de de la démocratie, des élections et de la gouvernance. C’est cette Charte qui a été invoquée pour déloger Yaya Jammeh.

Sans les 17 candidats ni la société civile, les dialogueurs à Diamniadio ont proposé la date du 2 juin prochain pour l’élection présidentielle. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est une défiance au Conseil constitutionnel. Macky Sall est en train de défier le Conseil constitutionnel. La date du 2 juin n’est pas conforme à la décision du Conseil. Au Centre international Abdou Diouf, Macky Sall a dit que c’est un décret qui convoque le corps électoral. Mais, c’est une compétence liée. Après l’abrogation du précédent décret par le Conseil constitutionnel, c’est le premier décret qui est en vigueur. Macky Sall devait seulement aménager la date le temps d’organiser la campagne électorale. Le Conseil lui a demandé de faire une certaine modulation pour fixer une nouvelle date parce que le premier décret est toujours valable.

Est-ce que les 16 candidats qui ont saisi le Conseil constitutionnel pour constater la carence du Président sortant et fixer une nouvelle date peuvent avoir gain de cause ?

Effectivement. La carence est un principe qui existe en droit. Si une autorité investie d’une prérogative d’agir refuse d’agir, le juge peut se substituer à elle. Le Conseil constitutionnel peut bien fixer une date. Il suffit de voir l’article 29 de la Constitution. Il est prévu que le Conseil puisse adopter une nouvelle date. Si au moment des dépôts, il y a un décès d’un des candidats, le Conseil constitutionnel reconvoque l’élection et prend une nouvelle date. Le président de la République doit organiser l’élection avant la fin de son mandat. Et manifestement, il refuse de le faire en raison de son ego. Le Conseil doit constater la carence du Président et doit par analogie à l’article 29 adopter une nouvelle date pour organiser une élection avec les 19 candidats officiellement reconnus.

Dans les conclusions du dialogue de Diamniadio, il est préconisé d’élargir la liste des candidats. Est-ce possible ?

Il n’existe pas dans le droit positif sénégalais actuellement un procédé qui peut permettre de rouvrir la liste et d’y ajouter d’autres candidats. Il peut y avoir des candidats qui se retirent pour binationalité. La seule possibilité, c’est de voir la liste réduite plus on s’approche de l’élection. Mais, il y a aucune possibilité d’allonger la liste. Macky Sall est dans une manœuvre dilatoire. Il joue avec nos institutions. Et il minimise ses actes. Aujourd’hui, il bloque le pays. Il nous met dans une situation qu’on n’avait jamais vécue. L’Assemblée s’est permise de le suivre avec cette loi à moins de 6 mois de l’élection. Ces deux actes sont criminalisés au niveau de la Chambre africaine de la démocratie et des élections.

«Ma conviction est que si le Conseil ne sévit pas, même la date du 2 juin peut être reportée»

Ce sont de tels actes que Yahya Jammeh avait refusés de rendre le pouvoir. Ma conviction est que si le Conseil ne sévit pas, même la date du 2 juin peut être reportée. Le Conseil est tenu de fixer la date de l’élection parce qu’il y a carence. Il est obligé de sauver les institutions de la République et de notifier sa décision à qui de droit. Le président de la République doit respecter la Constitution. Les prérogatives qu’il dispose, il les tire de la Constitution sénégalaise. S’il ne les respecte pas, on le destitue. À partir du 2 avril, le Conseil doit constater la fin du mandat du Président. Et on passe à autre chose en installant le Président de l’Assemblée nationale. Macky Sall a déjà manqué d’égard pour les Sénégalais en disant qu’il ne veut même pas assister à l’élection. Qu’il parte alors à la fin de son mandat. Le peuple sénégalais lui a pourtant tout donné. La seule solution pour que ce dilatoire ne continue pas est que le Conseil constate la fin de son mandat à partir du 2 avril et installe la suppléance qui est une période morte pour la République. Dans la suppléance, il n’y a pas de gouvernement. Le Président de la suppléance ne nomme pas des ministres. Il n’utilise pas l’article 49 de la Constitution. Malheureusement, c’est la meilleure solution pour arrêter cette dérive. Il faut que le Conseil arrête Macky Sall sinon il peut aller même au-delà du 15 décembre prochain. Dans ce Sénégal, la Constitution est au-dessus de tout le monde. Si le Président ne veut pas se soumettre à la Constitution, il faut le rappeler à l’ordre. Quant à l’amnistie, ce n’est pas opportun.

Propos recueillis par

ABLAYE DIALLO

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