Actualité Interview

PARITÉ, REPRÉSENTATIVITÉ FÉMININE DANS LE GOUVERNEMENT, PROMOTION FÉMININE…

Ndèye Astou Ndiaye, maîtresse de conférences, se prononce

 

La représentativité des femmes dans le nouveau gouvernement continue à faire débat. Ndèye Astou Ndiaye, maîtresse de conférences, titulaire à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar est, dans cet entretien avec « Yoor-Yoor Bi », largement revenu sur la question. L’universitaire qui milite pour le droit des femmes a également abordé d’autres sujets qui ont trait à la condition féminine au Sénégal.

Le Sénégal a un nouveau gouvernement avec à sa tête Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, ils ont proposé aux Sénégalais un « Projet » pour la rupture, est-ce que selon vous, cette rupture tant attendue pourra enfin voir le jour ?

On l’espère et bien entendu, ils sont en train de poser des actes. Il ne faut pas qu’on aille plus vite que la chanson. On doit les laisser faire, ils sont là depuis moins d’un mois, je pense qu’il y a énormément de chose à faire. Le chantier est énorme. En tant que citoyenne, je reste très optimiste. En tant que chercheuse, je ne peux pas faire l’analyse d’une chose aussi nouvelle dans la mesure où on n’a pas des données promptes, il nous faut du temps.

Parmi les 25 départements ministériels, 4 sont attribués aux femmes, un quota que des organisations féminines jugent trop faible, quelle lecture en faites-vous ?

C’est faible. C’est quelque chose que l’on a constaté par rapport à ce qui se faisait depuis un bon nombre d’années. Il y a eu un recul, j’espère que la rupture ne se situe pas à ce niveau. On s’attendait à voir plus de femmes dans le gouvernement. On dit 25 mais moi, j’en compte 30 avec les secrétaires d’Etat et parmi ces 30, on a 4 femmes, je pense que c’est très peu. Les femmes ont des compétences qui égalent voire dépassent celles des hommes sous plusieurs angles et dans plusieurs niveaux d’actions et niveaux d’interventions.

Comment trouvez-vous ces 4 postes attribués aux femmes ?

Pour moi, ce n’est pas ce qui est important. On aurait pu avoir des femmes qui sont bien compétentes au niveau des Forces armées, de l’Intérieur, de l’Économie, on en a eu d’ailleurs ou même une femme Premier ministre. C’est juste pour vous dire que les compétences sont là. Ce ne sont pas les domaines qui importent, c’est plutôt d’avoir un nombre de femmes significatif dans le gouvernement. Cela aurait permis deux choses : d’abord de constater encore une fois une rupture, mais de façon positive, cela aurait permis aussi de constater une promotion des modèles des femmes. Il y a quelques années avec la construction de Massalikoul Djinane (Mosquée mouride implantée à Dakar), il y avait une femme ingénieure dans la construction, le fait de la montrer très souvent à la télévision m’avait permis de constater que les jeunes filles l’avaient prise comme un modèle en disant que c’est possible qu’elles deviennent ingénieures en génie civil, mécanique, qu’elles s’investissent dans l’agriculture entre autres. Ce sont des profils comme ça, lorsqu’on les met en avant, cela change toute une population. Quand on veut parler de rupture de façon positive, il faut promouvoir certains modèles et rompre avec les contre modèles. Très souvent, ce qui est à la portée des jeunes filles, ce sont les réseaux sociaux. Sur ces réseaux, on voit des jeunes femmes qui se disent « influenceuses », qui promeuvent la dépigmentation de la peau, les insultes entre autres.

Étant enfant, personnellement, il y a Ndioro Ndiaye qui occupait le ministère de la Femme et de la Famille qui m’a énormément inspirée. En elle, je voyais cette femme capable d’occuper un poste ministériel. Avec Ndioro Ndiaye, je voyais un programme qui avait promu une jeune fille, Aminata Diallo, qui disait : « J’ai adopté 12 enfants, j’ai fait vacciner 12 enfants ». Personnellement, cela a changé quelque chose dans ma vie, cela m’a permis d’aller voir des enfants de la rue pour dire aussi que je suis capable de faire quelque chose. Si on avait pu multiplier ces cas, je pense qu’on serait bien loin. Aujourd’hui, on a raté cette étape-là, je pense qu’on aurait pu rectifier le tir. Il n’y a pas que des postes ministériels qui peuvent permettre de promouvoir des femmes.

Quelles sont les attentes par rapport à ces dames nommées ministres dans le nouveau gouvernement ?

Ce que j’attends des hommes, c’est ce que j’attends des femmes en tant que citoyenne. Ce sont des humains, en réalité, c’est là où je pense que se trouve le problème. Le succès de ce gouvernement devrait être le succès de tout un chacun. Le succès des femmes dans le gouvernement devrait aussi être le succès de tout le gouvernement.

Le portefeuille ministère de la Femme a été reformulé en ministère de la Famille et des Solidarités, l’absence du département de la Femme a aussi fait débat…

Contrairement à beaucoup de femmes chercheuses, comme activistes, cela ne me pose aucun problème. Ce qui est important, c’est la prise en considération de la problématique des femmes et ça doit se faire de façon transversale. Sans pour autant entendre le mot « Femme », on doit savoir qu’il y a une politique économique qui va prendre en compte la question de la femme, une politique de la pêche qui va prendre en compte la question de la femme parce qu’elles sont très présentes dans la commercialisation des produits halieutiques. Qu’il y a une part dans la politique culturelle qui va prendre en compte les femmes parce que de plus en plus, on voit des artistes féminines, réalisatrices féminines dans le monde de la culture. Aujourd’hui, le référentiel des politiques publiques, c’est le Projet, il faut attendre 2 à 3 mois pour voir si réellement la question des femmes va être prise en compte. Ils en avaient parlé avec la question de l’autorité parentale qui doit être étendue aux femmes avec la puissance paternelle. Si ces questions sont traitées, les questions de la femme le sont aussi. En même temps, je pense que la société a besoin du ministère de la Famille, le problème n’est pas seulement féminin, il est familial.

Ce qui dérange par contre, c’est qui on met au ministère de la Famille, la famille, c’est l’affaire de tous et de toutes. J’aurais bien aimé à ce poste qu’on ait un homme et qu’au ministère des Forces armées qu’on ait une dame. Il n’y a pas un ministère qui doit être affilié à un genre ou à un sexe. C’est selon les capacités et les compétences. Reste à voir si la dame qu’on a mise à ce poste-là va poser des actes significatifs et symboliques pour les femmes. La femme est un élément essentiel de la famille et le problème sociétal auquel nous sommes confrontés est avant tout familial, on doit réfléchir sur la famille sénégalaise qui produit les hommes que nous avons. On parle de patriarcat, mais c’est nous femmes, qui éduquons nos enfants qui disons aux garçons « ne rentrez pas dans les cuisines, ne faites pas ceci ou cela » et qui avons tendance à charger les filles. Quel est le rôle de la jeune fille et d’un jeune garçon dans une famille ? Mais avant tout, quel est le rôle d’un père et d’une mère dans une famille ?

La parité a été instaurée au Sénégal depuis 2010, 14 ans après comment voyez-vous la condition féminine au Sénégal ?

Les conditions féminines au Sénégal, je pense qu’elles ne découlent pas forcément de la parité. La parité est relative encore une fois. La chose devait être en amont encore une fois par rapport à l’éducation, aux chances de réussite qu’on donne aux femmes qui ne sont pas les mêmes que celles que l’on donne aux hommes. A l’Université, on voit les résultats que produisent les jeunes filles jusqu’au master et très souvent interrompus par des mariages. Elles se disent qu’elles sont des femmes et doivent à un moment faire ressortir leurs féminités, ce qui les fait parfois oublier leurs priorités. Quand on parle de parité, j’aurais bien aimé avoir du 50/50, mais à l’Assemblée nationale, on a du 44/56 parce que Touba ne répond pas. Je pense que ce sont des questions qu’il faut revoir. Soit on instaure la parité partout, soit on relativise. Dans cette législature que nous avons à l’Assemblée nationale, on a des femmes que l’on stigmatise parce qu’elles sont des députées qu’on a choisies pour saboter. Je me dis que si cela la parité, je préfère avoir 100 % d’hommes. En termes de parité, il faudrait qu’on puisse d’abord davantage armer les femmes et rendre visible leur travail. L’économie sénégalaise tient énormément à l’informel et les femmes sont plus dans ce secteur que les hommes. Il y a des femmes qui sont compétentes et qui se disent : « Non, j’ai peur parce que si j’échoue, on dira que c’est la femme qui a échoué ». On ne doit pas réfléchir de la sorte et quand elles réussissent on n’invisible leur succès. Il faut savoir ce que l’on veut, si on veut faire notre travail ou est-ce qu’il faudrait que l’on continue à se morfondre et à dire, on veut, on veut… Quand on nous dit « prenez », on hésite à se lancer. Si on fait la promotion de la jeune fille dès l’école primaire, on va sans doute après avoir une parité ou la dépasser en faveur des femmes.

Propos recueillis par

HABIBATOU TRAORÉ

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