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GESTION CATASTROPHIQUE DU PORT DE DAKAR

Chronique d’un pillage organisé

 

Depuis le magistère de Cheikh Kanté, les directeurs généraux se succèdent à la Société nationale Port autonome de Dakar (SN-PAD) avec les mêmes pratiques mafieuses et délictuelles. Le népotisme, les abus de pouvoir, les emplois fictifs, les recrutements sauvages, les marchés de gré à gré, des primes colossales accordées à des proches et les surfacturations y sont monnaie courante. Avec le changement de régime, la parole se libère pour dénoncer la gestion catastrophique de Mountaga Sy.

Par ABLAYE DIALLO

La nouvelle ministre des Pêches, des Infrastructures Maritimes et Portuaires, Dr Fatou Diouf, a du pain sur la planche. Au-delà de lutter contre la pêche illicite sur nos côtes, elle devra remettre de l’ordre à la Société nationale Port autonome de Dakar (SN-PAD) en collaboration avec le prochain Directeur général de la cette entreprise. En effet, les magouilles, les détournements d’objectifs et les abus de pouvoirs y sont récurrentes. La nomination de Mountaga Sy, le 28 septembre 2022, avait empiré les choses.

«En moins de 2 ans, Mountaga Sy a fait venir au Port plus de 1000 personnes»

Les recrutements sauvages des proches et des militants des responsables de l’APR ont atteint des proportions hors-normes avec le DG Mountaga Sy. « Depuis son arrivée, le Directeur général Mountaga Sy a recruté plus de 700 personnes majoritairement originaires du Fouta principalement d’Aéré Lao (département de Podor) et ses environs. En vérité, en moins de 2 ans, il a fait venir au Port plus près de 1000 personnes et le plus souvent sans les compétences requises. Des responsables de l’APR issus du Fouta ont envoyé des neveux et nièces qui ont été recrutés en masse. Des commandants du Port ont également fait venir des gens de leurs localités. Récemment, on a vu un recrutement plus de 130 personnes principalement originaires de Kaolack. Sur certaines listes, vous verrez que les recrues ont quasiment les mêmes noms de famille », nous a confié un ingénieur bien connu de la boite. Avant de révéler : « Des voitures 4×4 ont été distribuées de gauche à droite par le DG. À la direction des ressources humaines, des primes de 10 millions chaque semestre soit 20 millions de primes annuelles sont octroyées à des proches du DG. Certains ont des salaires pourtant 1,5 millions FCFA. Je connais un divisionnaire qui est un parent du DG, il reçoit 3 millions FCFA de primes chaque semestre. C’est ainsi que fonctionne le Port. C’est le népotisme généralisé. Il y a également des femmes d’anciens ministres du régime de Macky Sall et un neveu de Abdoulaye Daouda Diallo qui ont été recrutés. Certaines femmes et filles des ténors de l’ancien régime restaient des années sans venir travailler alors qu’elles avaient des CDI avec des salaires colossales. J’en ai vu certaines reprendre le boulot quand Ousmane Sonko est entré en fonction en tant que Premier ministre ». Les emplois fictifs représentent une gangrène et un manque à gagner pour l’entreprise. En effet, un autre membre de la société nous renseigne que le directeur de l’exploitation Amadou Racine Dia a sa femme et sa belle-sœur qui travaillent au Port. Ce qui n’est pas un crime en soi. « Elles bénéficient une couverture médicale et un énorme salaire mais elles restent chez elles le plus souvent », nous indique notre source qui côtoie ce beau monde au quotidien. Avant de dévoiler « location injustifiée des bâtiments de Saint-Michel à hauteur de plus 40 millions FCFA par mois alors que la Direction générale du Port dispose de locaux ». Une manière subtile de remplir les poches d’un proche en conflits avec sa banque.

Pire encore, des cadres compétentes et intègres sont écartés ou marginalisés au sein de l’entreprise. « J’ai permis à l’entreprise de générer plus 60 milliards FCFA. J’ai toujours été performant et rigoureux dans mon travail. J’ai été décoré de l’ordre national du Mérite. Au Conseil d’administration, on a constamment salué le travail que j’effectuais. Avant d’être évincé, j’ai été victime de menaces de mort d’un agent syndical proche du directeur (Ababacar Sadikh Bèye). A l’époque, j’avais demandé à la direction générale d’intervenir pour me protéger. Mais, elle n’avait pas réagi. La hiérarchie ne m’a pas protégé. J’avais les meilleurs résultats dans mon secteur. Un soir en rentrant chez moi, je vois que j’ai été démis de mes fonctions dans le groupe WhatsApp du Port », dénonce un haut cadre de la boite mis au placard depuis 2 ans.

«Quand vous ne voulez pas être mêlé aux magouilles, vous êtes automatiquement mis de côté»

Sous le sceau de l’anonymat, ce cadre de la SN-PAD confie ses déboires ont comme source sa probité : « Je devenais un simple conseiller du Port alors que j’ai 20 ans d’expérience. Ce qui est difficile à digérer, c’est de vouloir travailler dignement pour son pays et d’être écarté et marginalisé par des gens incompétents et malhonnêtes. Quand vous ne voulez pas être mêlé aux magouilles en cours, vous êtes automatiquement mis de côté. C’est grâce à mon travail qu’on a relevé les APE et qu’on parle aujourd’hui du Port de Ndayane. Je le dis sans aucune prétention. J’avais une équipe avec un personnel compétent. J’ai rencontré le nouveau directeur à son arrivée (Mountaga Sy) pour lui expliquer la situation et demandé ma réintégration dans mes fonctions. Il m’avait dit qu’il y avait un autre qui occupait mon poste mais dès le début de l’exécution du projet Ndayane, je pourrais retrouver mon poste là-bas. Depuis plus d’un an, je suis là à attendre pour être réintégré. Je n’ai même plus de bureau ni outil de travail alors que je suis haut fonctionnaire de l’Etat du Sénégal. Je veux que justice soit rétablie avec l’arrivée de nouvelles autorités qui prônent la transparence et la probité dans le travail ».

«Le nouveau régime doit veiller à ce que des gens intègres et compétents y soient nommés dans l’intérêt du pays»

Une autre source bien introduite au sein de la direction générale du Port appelle les nouvelles autorités du pays à faire un audit pour déceler les manquements, les emplois fictifs et le recrutement d’une clientèle politique sans les diplômes requis : « L’injustice prévaut au Port autonome de Dakar. Les nouvelles autorités doivent procéder à un audit au Port. Beaucoup de choses anormales s’y produisent au quotidien. J’ai été toujours opposé au recrutement clientéliste. Cela m’a valu énormément de déboires. Des membres des familles des responsables du régime précédent y sont casés sans pour autant qu’ils aient les compétences ni les profils requis. Le Port est un outil important de l’économie sénégalaise. Le nouveau régime doit veiller à ce que des gens intègres et compétents y soient nommés dans l’intérêt du pays. L’intégrité et la compétence sont les bases de la gestion. Aujourd’hui, au Sénégal, le mérite n’est pas récompensé. Et cela est très déplorable. Il faut un état des lieux exhaustif au Port de Dakar. Il faut y mettre les personnes qu’il faut pour en faire un joyau exemplaire pour toute la sous-région ».

Le scandale financier de la chaloupe Boubacar Joseph Ndiaye

En raison de pannes récurrentes des bateaux Coumbal Castel acquise en 1999, Beer acquis en 2006, le Directeur Mountaga Sy a permis au Port de Dakar d’acquérir une nouvelle chaloupe le 25 janvier 2024 dénommée Boubacar Joseph Ndiaye en hommage à l’ancien conservateur de la Maison des esclaves de l’île. D’une longueur de 36 mètres, avec une capacité de plus de 350 places assises dont 86 sièges VIP, on avait cru dans un premier temps qu’il s’agissait d’un navire tout neuf pour faciliter le transport des Goréens et des touristes. Le maitre du Port avec une longue expérience a été écarté lors de l’achat de cette chaloupe. À vrai dire, il s’agissait d’un vieux bateau conçu par l’entreprise EFANE pour naviguer sur les eaux du Bosphore en Turquie. Pour un responsable de la boite, la surfacturation est flagrante sur ce dossier : « C’est une vieille chaloupe repeinte qu’on nous a présentée comme neuve. Elle a au moins une décennie d’existence. Il y a eu une surfacturation. Le Président Macky Sall a été berné. Et les voyageurs sont en danger. La chaloupe flotte comme une feuille sur l’eau. Elle est trop légère. Un drame peut se produire à n’importe quel moment. L’autre grande supercherie est le prix d’achat de plus de 2 millions d’euros (1,3 milliards FCFA) alors que sur internet, le prix affiché en Turquie est de 1,2 millions d’euros (786 millions FCFA) ».  D’ailleurs, dans une note interne, le responsable de la division technique et nautique avait émis aux services de Mountaga Sy un courrier alertant en ces termes : « Toutefois, selon vos ordres écrits, nous soumettrons à votre décision et à toutes vos recommandations d’exploitation et affirmons qu’aucune responsabilité ne devra, en aucun cas, être imputée aux équipages de la Division Technique et Nautique ».

Déjà des manquements et non-conformités majeurs ont été relevés lors de la visite technique à bord de la chaloupe le 12 février dernier. L’ex-Premier ministre Abdoul Mbaye a aussi alerté pour éviter que l’irréparable ne se produise : « Dans le pays qui a vécu la plus grande catastrophe maritime de l’humanité (bateau Le Diola), aucun risque ne doit être pris avec la mise en service de la nouvelle chaloupe « Boubacar Joseph Ndiaye » devant rallier Dakar à Gorée. Lorsque les services techniques maritimes nationaux émettent des réserves aussi fortes que les leurs, l’intervention d’un cabinet international d’expertise pour évaluer la navigabilité du bateau est une obligation. Une enquête administrative sur les conditions de son acquisition doit également être menée au plus vite ». Le Président Bassirou Diomaye Faye, son Premier ministre Ousmane Sonko et la ministre Dr Fatou Diouf devront prendre ce problème à bras-le-corps pour éviter un autre Joola au Sénégal.

ABLAYE DIALLO

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