Actualité Editorial

JUSTICE, L’AUTRE NOM DE ARLÉSIENNE

Par DEMBA NDIAYE

Le dictionnaire Larousse définit la Justice comme « un principe moral qui exige le respect du droit et de l’équité ». Et ce qui est « Juste » est ce qui « est conforme à l’équité en respectant les règles de la morale ou de la religion ». Bigre ! L’être humain, en aspirant à une vie de rectitude proche de la perfection divine, a édicté, défini ce qui devrait faire de son existence, des rapports qui devraient régir les êtres, les humains entre eux, des principes qui semblent au-delà de l’humaine condition. En tout cas, dans son applicabilité en société. Une société régit, non pas par des vœux (pieux) mais par des rapports de force qui, eux-mêmes, sont déterminés par les forces économiques, militaires, politiques etc.

Dès lors que la force sous toutes ses formes et attributs s’impose comme régulatrice des rapports sociaux, autrement dit du vivre-ensemble, en commun, les idéaux de Justice tels que définis et souhaités par les humains deviennent des objets de corruption altérant ainsi les volontés humaines de poser la justice comme « principe moral qui exige le respect du Droit et de l’équité ». La Justice, dès lors, de principe moral et éthique sur lequel doivent s’édifier les rapports sociaux et les règles de vie en commun, égales pour tous, périclite dans les caniveaux du marché ou elle devient comme le riz ou le pain, un simple objet mercantile. Dès lors, comme le riz ou le pain, la question est combien, c’est à dire quel prix payer pour en jouir, acheter sa tranquillité et celle de ses progénitures, ses avoirs matériels (richesses, respectabilité etc.…). Et plus encorde, disposer de la vie ou de la mort des autres.

Les Enfers

L’autre Enfer, celui qui hante la vie des humains et qui nous pousse, oblige à respecter certaines règles de conduite, cet Enfer-là est pavé de plusieurs enfers ici-bas qui tendent à faire de nos vies, de notre vie, un maelström de règles destinées à policer notre vie commune ici-bas. La Loi donc. Définie comme des « prescriptions établies par l’autorité souveraine de l’État, applicable à tous et définissant les droits et devoirs de chacun ». Quand et comment alors, la Justice se sépare des attributs (les lois) qui font d’elle, une valeur cardinale de l’humain. Eh bien, quand les « droits » des uns sont piétinés sur l’autel de la puissance du plus fort, du plus nanti, d’une « station » plus en hauteur dans l’échelle de la vie en société. Quand comme dit l’autre, « on est tous égaux devant la justice à condition d’y mettre le prix ». Devenue un vulgaire produit marchand, la Justice se marchande, et le plus nanti se l’achète. Alors « d’applicable à tous », elle sélectionne les clients pour les cachots et ceux qui de fait, sont « extrajudiciables», hors du champ des lois et des règlements que la société s’est pourtant donné pour mettre de la distance avec ses tendances animales.

Les voleurs de poulets, d’œufs, du pain, d’une pièce de 100 francs pour se payer la moitié d’un pain, deviennent les éligibles quasi-exclusifs des tribunaux et clients patentés de nos prisons, qui ressemblent plus à des bagnes qu’à des lieux de « correction et de détention ». Quand la Justice se spécialise dans la chasse aux petites délinquances pour en faire des victimes expiatoires au service d’un système corrompu, alors elle perd sa valeur normative juste et équidistante de tous les justiciables. Justiciable qui signifie dans l’idéal humain, « qui relève de la Justice et des Tribunaux ; qui doit répondre de ses actes ». Être justiciable de sa politique. Voilà : les gouvernants doivent répondre de leur gouvernance, les gérants des deniers publics de leur gestion, les voleurs de leurs larcins (petits ou grands), les violeurs et criminels de leurs crimes. Tout cela par des juges justes, honnêtes, intègres, et disons-le, rêvons-le indépendants. Un système judiciaire qui fonctionne avec le respect des droits de tous, la Défense, la présomption d’innocence et non celle de la culpabilité parce qu’on est « mal né » parce qu’on a fait le mauvais choix du parti, parce que les convictions deviennent des délits, les libertés sous surveillance, bref, parce que la Justice n’est plus juste et les lois, leur application relève de poids de mesures qui changent selon le statut ou l’absence de statut du client.

Balance et non balançoire

Parce que la balance de la justice s’est muée en une balançoire aléatoire, elle a fait de la Justice un objet de peur panique et non un outil de rétablissement des droits bafoués, des dignités offensées, les juges deviennent de vulgaires guillotineurs des petites gens et protecteurs de nantis, de gouvernants arrogants et cleptomanes. Ils inspirent plus la peur et leurs cabinets sont des antichambres des cachots des castes intouchables. Mais peut-on réformer la justice quand la corruption est un sport national des plus répandus, et les juges, de pauvres humains sujets à des tentations incestueuses. À moins de rompre tous les cordons ombilicaux qui garrotent le système. Les juges s’émancipent des liens de dépendance d’une hiérarchie cannibale ; qu’ils s’organisent en syndicats et non plus en « amicales » de parvenus hors de portée des justiciables, que le parquet se limite à la gestion administrative des personnels de justice ; que le barreau s’étoffe, se muscle et jouait de tous les droits de la défense, que la police judiciaire soit une police judiciaire auxiliaire de la Justice et non fabricatrice de procès-verbaux de connivence et qui marche à la commande ; que nos postes de police et de gendarmerie cessent d’être des officines de torture pour arracher des « aveux » souhaités ; que nos prisons redeviennent des lieux de rééducation et d’apprentissage à la réinsertion avec un personnel adéquat et bien formé, et non des lieux de surpeuplement et de fabriques de haute délinquance. Oui, si au sortir de ces assises, la Justice retrouvait sa vocation de Dame Justice, une grande Dame éthique, morale, tout simplement juste, alors peut-être tous les oiseaux de mauvais augures qui parlent de « perte de temps », et de clones de ce que les comateux du 25 mars ont déjà fait, alors le peuple de justiciables se refiancerait à nouveau avec la plus belle des dames, et tous les voleurs de «  galsen », ceux de nos corniches et des terres paysannes, ceux pilleurs de nos sociétés à eux confiées, toute cette faune mafieuse apprendrait enfin qu’il n’y a qu’une justice. Et qu’elle n’est plus à géométrie variable encore moins de « Coumba am ndey, » et « Coumba amul ndey ». Ainsi adviendrait une importante rupture dans le maillon, sans doute, le plus important du système honni.

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